L’épisode des pestiférés de Jaffa est un événement marquant de l’expédition d’Égypte menée par Napoléon Bonaparte entre 1798 et 1801.
L'épisode, survenu en 1799, illustre les défis sanitaires, militaires et moraux auxquels l’armée française fut confrontée lors de cette campagne. Il est souvent cité pour son aspect dramatique et les décisions controversées prises par Napoléon.
En mars 1799, après avoir conquis l’Égypte, Napoléon entreprend de poursuivre ses ambitions en Orient et se dirige vers la Syrie. Son objectif est de contrer les forces ottomanes et de sécuriser la région pour consolider sa position en Égypte. Jaffa, un port stratégique situé sur la côte méditerranéenne (actuelle Israël), est un point clé de cette campagne. La ville est prise d’assaut par les Français le 7 mars 1799 après une résistance farouche des défenseurs ottomans. La victoire est suivie d’un massacre de la population et des soldats ennemis, un acte de brutalité destiné à intimider les autres villes de la région.
Cependant, peu après la prise de Jaffa, une épidémie de peste se déclare parmi les troupes françaises. La maladie, déjà endémique dans la région, se propage rapidement dans les rangs de l’armée, affaiblie par les combats et les conditions sanitaires précaires. Les soldats contaminés sont isolés dans un couvent transformé en hôpital de fortune. La situation devient rapidement critique, avec des centaines de malades et un manque de moyens pour les soigner.
Face à cette crise, Napoléon prend une décision qui reste controversée dans l’histoire. Considérant que les pestiférés ne peuvent être sauvés et qu’ils risquent de propager la maladie, il ordonne l’administration de doses mortelles d’opium à certains d’entre eux. Cette décision, bien que motivée par des raisons pragmatiques, est perçue comme un acte de cruauté et soulève des questions éthiques. Certains historiens contestent cependant la véracité de cet épisode, suggérant qu’il pourrait s’agir d’une exagération ou d’une légende propagée par les ennemis de Napoléon.
Malgré cette tragédie, Napoléon cherche à maintenir le moral de ses troupes. Il visite lui-même les pestiférés à l’hôpital de Jaffa, un geste qui est largement commenté et représenté par les artistes de l’époque, notamment par Antoine-Jean Gros dans son tableau *Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa* (1804). Cette visite, bien que symbolique, est interprétée comme une démonstration de courage et de leadership, renforçant l’image de Napoléon comme un chef prêt à partager les souffrances de ses hommes.
L’épisode des pestiférés de Jaffa a des répercussions importantes sur la campagne d’Égypte. L’épidémie affaiblit considérablement l’armée française, limitant ses capacités militaires et contribuant à l’échec de l’expédition en Syrie. En mai 1799, Napoléon est contraint de lever le siège de Saint-Jean-d’Acre et de se replier en Égypte, marquant la fin de ses ambitions orientales.
Sur le plan historique, l’épisode des pestiférés de Jaffa reste un sujet de débat. Il met en lumière les conditions difficiles des campagnes militaires de l’époque, les défis sanitaires rencontrés par les armées en mouvement, et les dilemmes moraux auxquels sont confrontés les chefs militaires. Il illustre également la complexité de la figure de Napoléon, à la fois stratège brillant et leader capable de décisions impitoyables.
Sous les arcades d’une mosquée reconvertie en hôpital de campagne, Bonaparte touche les pustules d’un soldat debout, à demi vêtu d’un drap. Desgenettes, le médecin en chef de l’armée, surveille attentivement le général tandis qu’un soldat cherche à écarter la main de Bonaparte pour lui éviter la contagion.
À droite, un autre soldat, entièrement nu, soutenu par un jeune Arabe, est pansé par un médecin turc. Un officier, atteint d’une ophtalmie, s’approche à tâtons en s’appuyant sur une colonne.
Au premier plan, un malade agonise sur les genoux de Masclet, jeune chirurgien militaire lui-même atteint par la maladie. Derrière le général, deux officiers français apparaissent effrayés par la contagion : l’un se protège la bouche avec son mouchoir tandis que l’autre s’éloigne.
Sur la gauche de la composition, au milieu des malades gisant sur le sol, se tient un majestueux groupe d’Arabes qui distribuent des vivres.
Le tableau des Pestiférés de Jaffa fut commandé à Gros par Bonaparte en dédommagement du retrait de la commande du Combat de Nazareth, autre épisode de la campagne d’Égypte où s’était par trop illustré le général Junot. Le programme lui en fut dicté par Dominique Vivant Denon, directeur du Louvre, qui avait participé à l’expédition, et le tableau achevé en six mois pour le Salon de 1804, ouvert le 18 septembre, quelques semaines avant le sacre de Napoléon.
Cette magnifique composition, où éclate le génie de coloriste de Gros, visait à mettre en valeur le courage de Bonaparte qui, pour apaiser l’inquiétude de ses troupes face aux ravages de la peste, s’était lui-même exposé à la contagion en visitant les soldats malades à l’hôpital de Jaffa. Mais en 1804, ce fait militaire assez banal pouvait servir à accréditer la légitimité des aspirations impériales de Bonaparte : le geste du général touchant avec une sérénité souveraine les pustules d’un malade renvoyait, dans la conscience des contemporains, à ce moment du rituel du sacre où le roi de France exerçait son pouvoir thaumaturgique en touchant les écrouelles des lépreux…