(Titre d'une interview parue dans le quotidien israélien Yediot aHaronot le 5 octobre 2018 transcrite par Piotr Smolar pour Le Monde du 5 octobre 2018 )
Le 24 juillet, le site Memri diffuse une vidéo où l'on peut voir Talal Nassar, un 'officiel du Hamas' s'exprimant sur une télévision turque. Il déclare que la ‘résistance est totalement prête à remporter une victoire totale’. Il ajoute
“ Notre peuple palestinien n’acceptera rien de moins que son droit, avec l’aide d’Allah. Il n’acceptera rien de moins que la Palestine historique, de la mer [Méditerranée] au fleuve [du Jourdain]. Il ne renoncera pas à un seul grain de terre. ”2
Sans que l'on sache s'il s'agit d'une évolution, d'un double langage ou d'une divergence de points de vue au sein du Hamas, le propos est différent deux mois plus tard.
Yahya Sinouar, leader du Hamas dans la bande de Gaza a accordé en septembre un entretien à la journaliste italienne, Francesca Borri. L'entretien est repris dans le quotidien israélien. Désigné en février 2017, le dirigeant de 55 ans, originaire du camp de réfugiés de Khan Younès, ne s'était jamais adressé directement au public israélien.
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A l'époque de son accession au pouvoir il était décrit ainsi par Hicham Abed Rabbo cadre du FPLP :
« Il appartenait à une famille religieuse, conservatrice, Lui et ses frères allaient à la mosquée, ce que faisaient à l’époque surtout les personnes âgées. Vers 17 ans, on a commencé à se classer par factions et on est devenus ennemis. Son groupe s’en prenait aux femmes non voilées et nous considérait comme des kouffar [mécréants]. » Puis l’engagement religieux s’est effacé au profit de la « résistance armée » contre Israël.
Lorsque le cheikh Yassine décide de créer un appareil sécuritaire, appelé Al-Majd, Yahya Sinouar en devient un pilier. Parmi ses missions : traquer les personnes déviantes sur le plan des mœurs, mais surtout les collaborateurs avec les Israéliens. Puis les interroger, parfois les tuer. Accusé de plusieurs assassinats, Yahya Sinouar est arrêté ; Hicham Abed Rabbo aussi, pour des faits similaires.
Yahya Sinouar a passé vingt-deux ans derrière les barreaux. Sa détention a aiguisé sa connaissance des Israéliens.
Depuis sa libération, son ascension a été spectaculaire. Les Israéliens pensent qu’il retournera à sa formation initiale dès que la toile de la réconciliation se déchirera. D’autres affirment qu’il est un pion entre les mains égyptiennes, en attendant l’après-Abbas.3
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Yahya Sinouar assure ne plus vouloir de guerre. Il propose un cessez-le-feu garanti,'le calme complet' sans pour autant rendre les armes, contre une levée du blocus
Dans l’entretien, M. Sinouar chante les louanges de la jeunesse de Gaza, désespérée mais dotée selon lui d’un potentiel immense. « Un groupe de jeunes qui ont la vingtaine ont construit une imprimante 3D pour fabriquer les équipements médicaux dont nous manquons, dit-il. Ça, c’est Gaza. Ce n’est pas juste la pauvreté. Ce n’est pas juste des enfants pieds nus. Gaza pourrait être comme Singapour ou Dubaï. »
Il faudrait pour cela, au-delà d’investissements monumentaux, rendre le petit territoire salubre et le fournir en électricité plus longtemps que quatre heures par jour.
Mais ces détails ne perturbent pas le volontarisme du leader du Hamas, qui veut donner des gages de sincérité au public israélien au sujet d’un cessez-le-feu : « Nous donnerons à nos enfants les vies que nous n’avons jamais eues et ils deviendront meilleurs que nous. Actuellement, les émotions sont trop fortes. Les souvenirs, les traumatismes, le ressentiment. »
Quelques jours plus tard, Ismail Haniyeh, leader du Hamas depuis mai 2017 déclare à l'issue d'un rassemblement du vendredi le long de la frontière entre Gaza et Israël que les rassemblements massifs continueraient jusqu’à ce que le « siège contre Jérusalem, Al-Aqsa et les terres de Palestine soit levé ».
3Piotr Smolar Le Monde 02/11/2017