Alors que de nombreux survivants de la Shoah cherchent les moyens de rejoindre la Palestine mandataire, les Britanniques bloquent l'immigration dans le but annoncé de limiter les tensions avec la population arabe. La résolution de partage de la Palestine par l'ONU n'a pas encore été votée.

Dans ce contexte l'Alya Beth (deuxième montée), branche clandestine chargée de favoriser l'immigration, organise le voyage de migrants sur un bateau, le Président Warfield, qu'elle a rebaptisé Exodus 1947. L'opération vise à pousser les Britanniques dans leurs retranchements. Des actions répressives de leur part pouvant rendre l'opinion publique plus favorable au sionisme.

Le navire quitte Sète avec 4 500 personnes à bord (le bateau peut en contenir 700) le 11 juillet 1947, officiellement pour la Colombie. Refoulé près des côtes palestiniennes par les Britanniques, il est dérouté vers Chypre.

Les passagers ont été choisis pour attirer l'attention. La proportion de femmes enceintes, de vieillards, de mères avec de jeunes enfants et de malades est importante.

La dureté qu'ils [les Britanniques] manifestèrent profita aussi au sionisme. Alors que l'Exodus naviguait encore hors des eaux territoriales palestiniennes, il fut entouré par six navires de guerre de la Royal Navy. L'un d'eux passa à l'abordage. Ses marins s'emparèrent du bateau par la force et firent feu. Les passagers jetèrent des bouteilles et des boites de conserves à la tête des soldats britanniques, les attaquèrent avec des barres et des haches de fer et tentèrent de les brûler avec de l'huile bouillante. Les Britanniques ouvrirent le feu. Il y eu trois morts dont un adolescent de quinze ans et des dizaines de blessés, certains gravement. Mais ce ne furent pas les dernières victimes de cette affaire : il y aurait encore des morts, parmi lesquels un bébé d'un jour dont le père Nathan Alterman fit un héros national.1

A Chypre, les migrants sont répartis sur trois bateaux-cages et renvoyés vers la France à Port de Bouc où ils arrivent le 29 juillet. Les Français doivent cependant constater le refus de débarquer des passagers à qui ils offrent cependant l'asile. Seuls 138 personnes acceptent l'offre. Les autres restent donc sur le bateau et certains entament une grève de la faim après 138 jours dans ce bateau que le journal l'Humanité du 30 juillet 1947 appelle un Auschwitz flottant.


Le bateau Exodus affrété par la Haganah

Léon Blum écrit dans 'le populaire' du 9 août 1947 :

L’état de fait actuel ne peut se prolonger davantage. La plaie de l’Exodus est déjà étalée depuis longtemps. Les passagers ne débarqueront pas volontairement : tout le monde le sait, y compris les autorités anglaises. Que les Anglais leur disent une bonne fois où ils entendent les conduire ; qu’on leur donne encore, si l’on veut, un jour, deux jours de grâce pour se décider, et puis que le bateau s’en aille avec sa misérable et héroïque cargaison.

Les Anglais posent alors un ultimatum. A défaut de débarquer avant le 21 août, il renverront les bateaux vers la zone d'occupation britannique en Allemagne. Ce qui est fait. Le 7 septembre les bateaux accostent à Hambourg où ils sont débarqués de force. L'opération baptisée Oasis fait 24 blessés parmi les réfugiés et 3 blessés britanniques.

Churchill tonne contre l'intransigeance de Bevin2 qui mène la guerre du gouvernement travailliste contre les Juifs.

La France offre l'asile à ceux qui le souhaitent :

Le Gouvernement français tient à faire savoir aux immigrants qui se trouvaient à bord de l’Exodus 1947 qu’avec leur consentement il leur donnera asile sur le sol de France où ils jouiront de toutes les libertés que la France, terre traditionnelle d’accueil des réfugiés et dont les citoyens ont toujours combattu pour la liberté de la personne humaine, accorde à ceux qui cherchent asile sur son territoire. En même temps, il sera pourvu, dans la plus large mesure, à leurs besoins matériels.

Georges Bidault précise que le gouvernement se refuse à participer en aucune manière au débarquement de ceux des étrangers qui refuseraient de venir sur notre sol.3

Mais alors que les débarqués s'obstinent à vouloir rejoindre la Palestine et refusent l'asile de la France, la Grande-Bretagne diminue leurs rations de nourriture, coupe le chauffage et ne fournit aucun vêtement d'hiver. Ils les parquent dans les camps allemands de personnes déplacées de Poppendorf (2 500) et d'Amstau (2000) près de Lubbeck. La presse mondiale et particulièrement britannique se déchaîne contre le traitement infligé à ces survivants de l'enfer.

 

Une plaque a été posée à Sète en mémoire du bateau Exodus 47

L'affaire tend aussi les relations entre la France et la Grande-Bretagne qui met en cause sa responsabilité pour les facilités accordées au navire et demande que la France réadmette le navire avec tous ses passagers. Pour le secrétaire du quai d'Orsay Jean Chauvel :

Il est parfaitement clair que, si nous refusons l’accès de notre territoire aux 4 500 passagers qui n’ont pu s’embarquer qu’à la faveur de la carence scandaleuse des services officiels compétents :

- les Juifs nous reprocheront véhémentement d’obliger des Juifs à rester à la merci des Anglais

- les Arabes nous reprocheront non moins véhémentement de soutenir l’immigration clandestine juive en Palestine ;

- nous irons à un incident majeur avec les Anglais, à un moment où les sympathies anglaises nous sont indispensables pour obtenir d’être associés dans des conditions convenables à l’examen des principaux problèmes allemands.4

L'affaire a un fort impact sur la décision prise finalement par l'ONU en novembre quant au partage de la Palestine. Elle sera aussi l'une des motivations de la loi du retour du 5 juillet 1950 , ouvrant droit à l'asile à tout juif d'où qu'il vienne dans le nouvel État d'Israël.

Les camps sont finalement vidés en une nuit le 14 mai 1948 suite à la déclaration d'indépendance du nouvel État.

Entre 1945 et l'indépendance, ce sont 65 bateaux, la plupart interceptés, qu'a affrété la Haganah. 51 500 juifs ont été parqués dans les camps de détention d'Atlit et de Chypre. Mais 115 000 immigrants ont réussi à gagner la Palestine, dont 800 trouveront la mort durant la guerre d'indépendance.5

1Tom Seguev, le septième million.

2 De 1945 à 1951, Ernest Bevin est Secrétaire d’État aux affaires étrangères. Golda Mëir disait de lui : « Je ne sais pas s'il est un peu fou ou seulement antisémite, peut-être les deux à la fois ».

3Palestine 1947, le partage avorté p.19

4 In La décision française dans l'affaire de l'Exodus, retour sur un malentendu historique, Frédérique Schillo, Relations internationales 2010/2 n°142 p 37-51

5 Ces juifs dont l'Amérique ne voulait pas, 1945-1950, Françoise Ouzan, ed. Complexe p.82-83