Coluche explique son retrait de la présidentielle de 1981
En mars 1981, Coluche, qui s’était lancé dans la course à l’Elysée, jette l’éponge. Il envoie alors une lettre à Romain Goupil, son « directeur de campagne », dans laquelle il explique sa décision.
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« J’arrête.
Je ne suis plus candidat.
D’abord parce que probablement je n’aurai pas (ou plus) les 500 signatures vu que depuis qu’ils m’ont écrit pour me les promettre déjà beaucoup de maires m’ont signifié qu’ils ne pourraient pas confirmer vu que leurs partis respectifs (…) leur avaient interdit.
Déjà la droite faisait barrage, la gauche l’a fait aussi. Donc blocage complet.
J’avais proposé aux petits candidats de me rejoindre pour qu’ensemble nous soyons forts
et que nous puissions aller jusqu’au bout, trop peu ont répondu pour que ça m’encourage à continuer.
Je suis interdit à la radio, à la télé, tous ceux qui ont essayé de me soutenir se sont fait virer, la grande presse (une quinzaine de journaux du groupe Hersant) fait le silence. Les maires se dégonflent tout part en couilles. Moi aussi.
Je rencontre beaucoup de journalistes qui voudraient m’aider mais ils n’en ont pas les moyens parce que leurs chefs bloquent tout.
J’ai voulu m’amuser et amuser les autres dans une période d’une grande tristesse et d’un grand sérieux.
C’est le sérieux qui gagne et bien tant pis. Des gens seront déçus. Je le suis aussi. Je suis déçu de mes droits [civiques]. J’ai voulu remuer la merde politique dans laquelle on est je n’en supporte plus l’odeur.
Je quitte le théâtre après 140 représentations (j’étais venu pour 100) j’avais prolongé pour rester candidat, ma candidature s’arrête je n’ai plus de raison de continuer le théâtre.
J’arrête parce que je ne peux pas aller plus loin.
J’espère que Giscard sera battu parce qu’un président qui a déjà 7 ans d’expérience est mieux placé qu’un nouveau pour faire agir l’appareil de l’État (police, impôts, magouilles financières, etc.)
J’espère qu’un jour la France aura un gouvernement qui s’occupe des Français plus que des intérêts de sa famille et de ses copains.
J’espère qu’un jour les jeunes pourront se promener dans les rues sans que la police ne les agresse.
J’espère qu’un jour les vieux auront une retraite décente et qu’ils pourront s’arrêter de travailler à un âge où l’on peut encore profiter de la vie.
J’espère qu’un jour les journalistes pourront exercer leur métier sans être obligés de cirer les pompes du pouvoir.
J’espère qu’on arrêtera les programmes militaire et atomique.
J’espère, j’espère, espérons, il n’y a que ça à faire, hé bien merde.
Je ne suis pas le seul ni le premier à espérer pour rien.
Aujourd’hui je me demande comment j’ai pu croire que ma candidature ferait rire les médias et les hommes politiques.
Quand les uns font bloc et les autres font silence, ils créent un gros trou entre le public et le candidat, ce qui est le meilleur moyen de faire taire le candidat.
Si j’avais fait 2 % dans les sondages, on aurait trouvé ça rigolo mais 10 % c’est trop.
Déjà la police fait un dossier sur moi dans le but d’interdire ma candidature au dernier moment, tout ça est trop sérieux pour moi. Je ne parle pas des menaces de mort et autres marques d’affection que l’on m’a fait l’honneur de m’adresser.
Messieurs les hommes politiques de métier, j’avais mis le nez dans le trou de votre cul, je ne vois [pas] l’intérêt de l’y laisser.
Amusez-vous bien mais sans moi.
Coluche »
1Le Monde M, Laurent Telo Publié le 01 mars 2019 à 13h40
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