Lors d'une mémorable conférence de presse tenue en novembre 1967, de Gaulle déterminait que les juifs étaient « un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur ».
Raymond Aron, intellectuel du même bord que le Général, fut sidéré et se demanda « pourquoi le général de Gaulle avait solennellement réhabilité l’antisémitisme ».
On a beaucoup glosé depuis sur la singularité de cette frasque gaullienne, mais il ne fait pas de doute qu'il l'avait préméditée, parce qu'il n'était pas homme à faire écart de langage sans en avoir évalué les implications. Il s'agissait en l'occurrence d'argumenter en faveur d'une nouvelle politique arabe de la France au lendemain de la guerre des Six Jours, après que le monde arabe eût échoué dans sa tentative de liquider l'État d'Israël. Il se servait d'un procédé digne de Vichy pour travestir en exploit patriotique ce qui n'était en réalité qu'une realpolitik d'un genre douteux.
Une lecture attentive de l'incipit de ses Mémoires suggère que l'idée que de Gaulle se faisait de la France pourrait avoir été calquée de manière subliminale et peut-être inconsciente sur celle qu'il se faisait du peuple juif. Dans son introduction, il dit que Dieu a créé la France pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. Que la France n’est elle-même qu’au premier rang. Que seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser sa dispersion. Que la France doit viser haut. Par ailleurs, « peuple d'élite » (peuple élu ?) est une prérogative que de Gaulle trouvait peut-être plus particulièrement appropriée pour la France, réputée « fille ainée de l'Église ».
C'est ainsi que quand de Gaulle déclare que les juifs lui apparaissent comme un « peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur », le fond de sa pensée semble être que ces propriétés ne sont acceptables que si elles sont associées à la France, seule habilitée par la Providence à en faire un usage adéquat.
Aujourd'hui ces propos pourraient tomber sous le coup de la loi. Celle de 1972 contre le racisme précise en effet que « ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 2 000 à 300 000 F ou de l'une de ces deux peines seulement. »
Le procédé dont s'est servi de Gaulle a marqué le début d'une hostilité durable contre Israël en France et ailleurs en Europe.
Beaucoup de commentateurs politiques ont interprété à cette époque ces propos comme signalant la fin d'une obligation de réserve vis-à-vis des juifs eu égard à la Shoah, et en ont conclu que l'on pouvait renouer sans états d'âme avec l'antisémitisme comme slogan fédérateur.L'antisionisme que l'on trouve de nos jours en occident en est un avatar.
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2. Charles de Gaulle et les Juifs, Michel Soulas, 2013
Michel Soulas, Docteur en histoire, évoque la relation qu'à entretenu De Gaulle avec les juifs et ne voit pas en lui un antisémite.
Il rappelle que son père était un des rares militaires catholiques dreyfusards,
En 1925, grâce à l’entre mise du colonel Nachin, de Gaulle va rencontrer un ardent défenseur de Dreyfus le colonel Emile Mayer qui va le conforter dans ses convictions dreyfusardes. En 1938 dans son livre La France et son armée il décrit le « lamentable procès » fait au capitaine Dreyfus – « Vraisemblance de l’erreur judiciaire, qu’étaient les faux, inconséquences, abus, commis par l’accusation. »
Il cite un professeur Juif, Edmond Levy-Solal, ami de la famille : " Il avait pour les Juifs une grande admiration. Il considérait qu’ils formaient la communauté la plus intelligente de la terre. Combien de fois l’ai-je entendu s’exclamer devant le talent de tel musicien, philosophe, scientifique, industriel ou artiste : Ce n’est pas étonnant, il est israélite !"
Soulas rappelle que l'entourage de De Gaulle à Londres comportait de nombreux Juifs sans que ce soit un sujet . Il écrit le 22 aout 1940 une lettre à l'écrivain Albert Cohen, délégué du Congrès juif mondial auprès du Bureau international du travail : "