A force de durer, certains silences finissent par prendre l'épaisseur de véritables événements. Celui qui pèse en France, depuis un an, sur la recrudescence d'actes antisémites pousse beaucoup de juifs à s'interroger avec inquiétude sur les raisons de ce mutisme.
Le 10 octobre 2000, à Trappes, pour la première fois depuis la Libération, une synagogue était détruite. Le 28 octobre 2001, à Marseille, une école juive était incendiée. Entre ces deux dates, la liste est longue des attentats, violences et tentatives dirigés contre des personnes physiques, bâtiments, cérémonies ou symboles juifs, sans parler de l'explosion des menaces, tracts, agressions verbales et graffitis. Ce nouveau climat fut le thème principal du dîner annuel du Crif, samedi 1er décembre.
Le dernier rapport de la Commission consultative des droits de l'homme totalise ainsi 116 violences antisémites pour l'année 2000, contre 9 en 1999 et 1 en 1998; 111 de ces 116 cas ont eu lieu au cours du dernier trimestre. «En raison de la situation au Proche-Orient», explique le rapport, qui énumère leur variété: «44 tentatives d'incendie - essentiellement par jets de cocktails Molotov - 33 dégradations par coups de feu, jets de pierres, bris de vitres et 33 agressions - 11 blessés.» La commission, qui ne fait état que de 42 interpellés, les décrit paradoxalement comme de jeunes délinquants ne se «revendiquant d'aucune idéologie particulière» mais «animés par un sentiment d'hostilité à Israël»... Cette nouvelle délinquance antisémite, qui date du début de la deuxième Intifada, ou Intifada al-Aqsa, en Israël, à la fin de septembre 2000, présente une dimension internationale: elle touche toutes les démocraties occidentales, des Etats-Unis à la Norvège et de la Grande-Bretagne à l'Italie. Mais la France est le pays le plus atteint: le tiers des actes de violence et près de la moitié des actes incendiaires recensés en octobre 2000, Europe et Amériques confondues, ont eu lieu sur le sol français.
Pour l'année 2001, le ministère de l'Intérieur a enregistré, jusqu'au 15 novembre dernier, 26 actions violentes et 115 intimidations et menaces. Comme pour l'année 2000, où la majorité des violences (75 sur 116) avait eu lieu en octobre, au temps fort de l'Intifada en Israël et dans les Territoires, 14 des 26 actes de violence de 2001 ont été enregistrés au lendemain des attentats new-yorkais du 11 septembre. Le ministère de l'Intérieur en conclut donc que la violence a été moindre après le 11 septembre qu'après le début de l'Intifada, à l'automne 2000. Mais le retour à la «normale», après ces pics de violence, se situe à un niveau de tension beaucoup plus élevé qu'auparavant.
Depuis l'année 1991 (guerre du Golfe), les manifestations d'antisémitisme n'avaient cessé de régresser, le milieu des années 90 n'enregistrant que de 1 à 3 actions violentes par an. Le «plancher» actuel se stabilise donc à un niveau beaucoup plus élevé qu'il ne l'était ces dix dernières années. Et, surtout, les spécialistes de l'Intérieur font remarquer que leurs statistiques, fiables pour enregistrer les variations d'une année sur l'autre, sont loin d'être exhaustives. Et leurs relevés se concentrent sur les faits graves: depuis un an, 60 synagogues et lieux de culte, 15 lieux scolaires, 3 cimetières et 16 magasins ont été l'objet d'attentats. De plus, ils font remarquer que, dans ce domaine, ce qu'ils appellent le «chiffre noir» (les faits non recensés) reste très important, notamment pour les petites agressions, menaces et intimidations, qui leur échappent, alors que le Crif, le Fonds social juif unifié et le Consistoire de Paris, qui ont mis sur pied un numéro d'appel téléphonique vingt-quatre heures sur vingt-quatre, font état d'une explosion du «chiffre noir» depuis un an.
La nouveauté ne tient pas seulement au retour de statistiques inquiétantes bien que sous-évaluées, mais aussi à l'indifférence qu'elles suscitent sur un sujet - l'antisémitisme - qui faisait jusque-là l'objet d'une vigilance sourcilleuse. Pourquoi ce silence? Parce qu'il ne s'agit plus des mêmes auteurs. Le rapport de la Commission consultative des droits de l'homme le dit sans détour: ces actes relèvent désormais essentiellement de «milieux issus de l'immigration, qui ont trouvé là un exutoire à leur mal-être et à leur sentiment d'exclusion». Or hommes politiques, presse et associations antiracistes manifestent depuis un an une gêne évidente devant ce profil nouveau: ils n'ont plus à faire face à l'éternel militant lepéniste, au nostalgique de Vichy ou au beauf de la «France moisie», aptes à provoquer dans l'instant l'éternelle mobilisation «antifasciste». Comme si la personnalité de l'auteur d'un acte antisémite avait plus d'importance que l'acte lui-même, dont la nature ne change pourtant pas.
Les magistrats semblent obéir aux mêmes réflexes: le rapport de la Commission consultative des droits de l'homme relève ainsi, à propos des centaines d' «intimidations» à caractère antisémite (dégradations, graffitis, menaces verbales, alertes à la bombe), que, sur une soixantaine d'interpellés, seuls cinq individus, relevant de l'extrême droite, ont fait l'objet de procédures judiciaires. Comme si les autres n'étaient pas vraiment antisémites, mais seulement «antifeuj», ce qui minorerait la gravité de leurs exactions, transformées en «actes isolés de petits voyous», comme l'a dit le préfet de police des Bouches-du-Rhône après l'incendie d'une école juive à Marseille, ou «phénomènes de triste mode», oeuvre de «jeunes désoeuvrés», comme dit Daniel Vaillant.
Depuis un an, les réactions des hommes politiques furent rares. Un communiqué de l'Elysée a condamné des «manifestations d'intolérance». Lionel Jospin a estimé «particulièrement scandaleuses et intolérables» les attaques contre les synagogues, tout en soulignant qu'elles n'étaient pas «systématiques». L'identité des responsables suscite la gêne. «Nos interventions ont été écoutées avec attention, mais ces attaques ont été traitées de la même façon que les incendies de voitures», explique Jean Kahn, président du Consistoire israélite de France. Seule exception: François Bayrou, qui dénonce l'apparition d'un «nouvel antisémitisme, de nature différente, aux racines gauchistes, tiers-mondistes, qui reprend les mêmes abjections mais relookées».
Les médias semblent aussi saisis d'un mutisme qui va parfois jusqu'à l'autocensure. Dans certains quotidiens, des faits qui s'étalaient sur de pleines pages quand ils relevaient de militants d'extrême droite sont relégués en «brèves». Une grande radio nationale expliqua à ses auditeurs que l'on avait relevé sur les murs de l'école juive incendiée à Marseille le slogan «Ben Laden vaincra», alors que le texte exact était: «Ben Laden vaincra, mort aux juifs». Et les écarts de Radio Courtoisie suscitaient, il y a peu, plus de réactions que les actuelles éructations antijuives de certaines radios communautaires de la bande FM, dont certaines ont promis aux juifs de France le sort des jeunes Israéliens tués dans l'attentat suicide d'une discothèque de Tel-Aviv. «C'est à la suite d'une procédure initiée par des associations que Radio Orient, pourtant sous le contrôle du CSA, a été condamnée pour avoir diffusé un prêche appelant à "la disparition des juifs de la surface du globe"», rappelle Marc Knobel, attaché de recherche au centre Simon-Wiesenthal. Et personne ne s'émeut des poubelles antisémites que sont devenus certains sites Internet «identitaires».
«Notre adversaire, c'est l'indifférence. Ce qui effraie les juifs de France, c'est le silence et la désinvolture de leurs compatriotes», explique Patrick Klugman, président des Etudiants juifs de France. Ce silence et cette minoration de faits qui s'accumulent depuis un an provoquent le désarroi chez de nombreux juifs, qui constatent avec amertume que, depuis le 11 septembre, les responsables politiques n'ont cessé de prendre la parole pour dire qu'il ne fallait pas assimiler islam et islamisme, alors qu'ils n'ont pas fait d'effort similaire pour dire que les juifs de France ne devaient pas être tenus pour responsables des avatars de la politique israélienne. Or l'antisémitisme se métamorphose et prend de plus en plus le masque de l'antisionisme, ses sources s'étant déplacées de l'Europe au monde islamique, devenu aujourd'hui l'origine d'une nouvelle vague d'éditions des Protocoles des sages de Sion. «La lutte contre l'antisémitisme, fixée sur le passé nazi depuis un demi-siècle, s'est endormie dans les discours commémoratifs et un pseudo-antiracisme édifiant pour conférences internationales consensuelles. Le réel, c'est une judéophobie d'obédience islamiste qui semble idéologiquement inaudible», explique Pierre-André Taguieff.
Les responsables juifs s'aperçoivent, au cours de leurs discussions avec les politiques, que beaucoup justifient leur silence par la crainte de «jeter de l'huile sur le feu» dans des banlieues qu'ils ne maîtrisent plus. Et que d'autres semblent animés par le souci de ne pas mécontenter une population dont le poids électoral devient important dans certains départements. «Dès lors qu'en France il y a 5 ou 6 millions de musulmans et seulement 600 000 juifs, il est clair que la communauté musulmane est mieux prise en compte», a ainsi déclaré le grand rabbin Sitruk. Il est vrai qu'un incident récent au sein du Parti socialiste a favorisé cette crainte. Pascal Boniface, membre du PS et directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques, a suggéré, lors d'une réunion à huis clos de la commission internationale du parti, qu'il serait plus payant, pour obtenir en 2002 les suffrages de la «communauté arabo-musulmane», de modifier la politique officielle envers Israël: «Je suis frappé par le nombre de jeunes beurs, de Français musulmans de tout âge, qui se disent de gauche mais qui, par référence à la situation au Proche-Orient, affirment ne pas vouloir voter Jospin à l'élection présidentielle.» Ces propos ont fusé comme une traînée de poudre au sein des organisations juives.
Comment réagir? Les organisations juives sont elles-mêmes divisées: «Le désarroi actuel suscite des réactions contradictoires, explique Marc Knobel, par ailleurs vice-président de la Licra. Certains commencent à vraiment paniquer et à se chauffer?, d'autres essaient de calmer le jeu, d'autres font semblant de ne pas voir ce qui se passe.» Mais le silence des hommes politiques angoisse et la crainte d'une marginalisation engendre deux attitudes opposées: l'accentuation, chez certains, d'une tendance au repli communautaire (depuis un an, presse et radio communautaires ont progressé en audience), tandis que d'autres insistent au contraire sur le piège de la logique communautariste, même quand ils y ont parfois cédé eux-mêmes dans le passé.
Plusieurs intellectuels - Shmuel Trigano, Alexandre Adler, Jacques Tarnero, Marc Knobel - viennent ainsi de créer une revue - L'Observatoire du monde juif - dont le premier numéro est consacré à ce «black-out» dont ils cherchent à comprendre les raisons avec franchise et autocritique. Schmuel Trigano diagnostique une «configuration sociale et politique tout à fait nouvelle» et le risque d'un «vacillement symbolique de la citoyenneté des juifs», dont «la sécurité devient problématique sans que pour autant la société civile manifeste de réprobation, sans que le gouvernement sorte d'une apparente indifférence». Selon lui, ce risque de «dénationalisation subreptice de la communauté juive» résulte d'une instrumentalisation perverse - et en partie consentie - de l'identité juive par la politique mitterrandienne de diabolisation, à des fins électorales, du Front national: «C'est de cette époque que date la fameuse équation "juifs = immigrés". [?] Cette équation opérait en fait la synthèse idéologique entre la figure du juif, victime de la Shoah et de Vichy, et l'immigré, victime du racisme et cible du Front national. [?] Cette opération d'écritures, qui campait le juif en immigré absolu, impliquait cependant nécessairement un amoindrissement de sa dignité nationale: il devenait plus immigré que les immigrés, un archétype.»
Piège terrible: «Cette comparaison avec la "communauté de l'immigration" s'est révélée déligitimante dans l'inconscient collectif, sortant la ?communauté juive? de la légitimité nationale dans laquelle elle s'est reconstituée après guerre pour l'inscrire dans le registre du communautarisme.» Alors que «la position du judaïsme dans la République n'a en fait rien de comparable à celle de l'islam. Il a traversé en effet depuis deux siècles un processus de modernisation qui l'a profondément transformé et que n'a connu en aucune façon l'islam». De plus, ce Français juif ainsi «dénationalisé» était de plus en plus souvent assimilé à Israël, dérive «encouragée par certaines caricatures parues dans Le Monde ou Libération, représentant le ?méchant? Israélien en juif orthodoxe, c'est-à-dire en juif religieux plus qu'en citoyen israélien, ce que ne sont pas les juifs de France», estime Sammy Ghozlan, président du conseil des communautés juives de Seine-Saint-Denis.
Cette communautarisation des juifs de France, qui a reçu le renfort complice de certaines organisations juives, lesquelles y aspiraient pour des motifs religieux, a progressivement dessiné un nouveau paysage politique, devenu visible après la guerre du Golfe, quand François Mitterrand a félicité les communautés juive et musulmane pour leur calme durant le conflit. Ce nouveau traitement public «ne pouvait que susciter la ranc?ur et la jalousie des musulmans, qui se voyaient ainsi offrir en modèle l'exemple des juifs, que leur héritage culturel et religieux incline à voir comme une minorité dominée de l'islam, de surcroît identifiée à Israël», analyse Shmuel Trigano, qui estime que les juifs de France ont souvent été utilisés comme modèle d'intégration en raison de l'incapacité de la société française «à proposer un pacte clair et net à la population nouvelle venue: l'entrée de l'islam dans le pacte laïque». Une fois de plus, selon lui, les juifs de France deviennent «les boucs émissaires des problèmes non résolus de la société française».
A la lumière de cette actualité, L'Observatoire du monde juif revient sur une enquête réalisée en 1996 auprès d'un échantillon choisi de jeunes de banlieue de 18 à 25 ans, ayant leur bac et militant pour la plupart dans des associations antiracistes, enquête qui éclaire les passages à l'acte qui se sont produits depuis. Constatant, à partir de ces résultats, une «relation trouble et conflictuelle au fait juif», Jacques Tarnero y diagnostique «aussi tout un contentieux, un potentiel de violence contenue, de ressentiment et de frustration qui s'exprime contre la France, l'Occident, le monde qui n'est pas le leur». Ces jeunes lui semblent victimes de deux attitudes simultanées: «La première, celle du rejet ou de la répression, la seconde, celle de la compassion et de la charité révolutionnaire», qui «laisse tout passer au nom de l'excuse sociologique» et contribue «à déresponsabiliser des jeunes, à les enfermer dans un statut exotique». Conclusion: «Au nom d'un antilepénisme de posture, on s'est interdit de prendre la mesure de ce racisme à rebours existant dans les banlieues. Au nom du politiquement correct, on n'a pas voulu considérer cette double attitude qui fait que l'on peut être à la fois victime du racisme et être raciste soi-même.»
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Note confidentielle de Pascal Boniface au PS en 2001
le Parti socialiste précise que cette note, qui n'exprime pas sa ligne et ne constitue même pas un document de travail du parti, ne représente que l'opinion de Pascal Boniface
Le Proche-Orient, les socialistes, l'équité internationale, l'efficacité électorale
Imaginons : à la suite d'un conflit, un pays occupe des territoires, en violation des lois internationales. Trente-quatre ans après, cette occupation se poursuit malgré les condamnations de la communauté internationale. La population vivant dans ces territoires occupés se voit imposer des contraintes exorbitantes, des lois d'exception, et nier le droit à l'autodétermination.
Destruction des maisons, confiscations des terres, emprisonnement sans jugement, humiliations quotidiennes et, jusqu'à récemment, torture légalisée sous l'appellation “pressions physiques modérées” sont des pratiques courantes. Cette population se révolte, demande la création d'un État indépendant sur les territoires occupés, ce qui ne serait que l'application de la Charte des Nations unies. S'engage alors un cycle de violence, et de répression, où les forces de l'ordre, de la puissance occupante, tirent et tuent régulièrement des manifestants, et où des attentats font des victimes dans les populations de l’État occupant. Dans n'importe quelle situation de ce type, un humaniste, et plus encore un homme de gauche, condamnerait la puissance occupante.
Imaginons un pays où le Premier ministre a été directement lié à des massacres de civils, principalement femmes et enfants, dans des camps de réfugiés désarmés.
Un pays, où le leader du troisième parti au pouvoir, traite les membres d'une des principales communautés nationales du pays de “serpents et même, pis, de vipères” et propose de “les anéantir, ces méchants, ces bandits”, de leur tirer dessus avec des super missiles.
Un pays où des extrémistes armés peuvent organiser, en toute impunité, des pogroms contre des civils désarmés.
Ce serait une situation inacceptable. Elle est pourtant tolérée au Proche-Orient.
Comment expliquer que l'on puisse admettre non pas une entorse, mais la mise au pilori systématique des principes élémentaires du respect de l'autre, dans ce cas particulier ?
Trois éléments sont incontestables:
1) Le peuple juif a subi le plus horrible des traitements avec la Shoah. Alors que le mot est de plus en plus galvaudé, il est le seul à avoir enduré un véritable génocide, avec l'intention de l'exterminer totalement, en tant que peuple. Face à ce traumatisme (aboutissement de comportements antisémites répandus) où le peuple juif a été bien seul, Israël représente le sanctuaire, la certitude que le pire ne recommencera jamais.
2) L'Etat d'Israël démocratique (même si la population arabe n'y a pas les mêmes droits que la population juive) (…) a dû lutter pour faire reconnaître son existence par ses voisins.
3) La défense d'Israël dans ces circonstances a prévalu sur tout, y compris, par la suite, sur les principes qui avaient animé ses créateurs.
Ces éléments incontestables ne sauraient justifier que la souffrance du peuple juif lui ait donné le droit d'opprimer à son tour.
Pour que la Shoah ne se reproduise plus, doit-on s'accommoder de la violation des droits d'un autre peuple ?
Par référence à ce traumatisme, tous ceux qui s'opposent à la politique du gouvernement d'Israël, sont soupçonnés de ne pas condamner la Shoah et d'être en fait antisémites.
Mais, même si rien n'est venu égaler en horreur cette dernière, ce raisonnement se révèle, désormais, inadéquat et même inadmissible.
Il est vrai qu'il y a des antisémites parmi les pro-palestiniens.Cependant, ils sont minoritaires et ne peuvent permettre de dire que ceux qui réclament l'application des principes universels au Proche- Orient le font par haine du peuple juif.
Aujourd'hui, les principales victimes sont les Palestiniens. Il faut être insensible aux réalités pour ne pas l'admettre.
Cela ne signifie pas qu'ils n'aient aucun tort, que la corruption n'y existe pas, (…), qu'il n'y ait pas d'attentats aveugles, etc. Il n'en reste pas moins qu'on ne peut pas mettre sur le même plan l'occupant et l'occupé.
En tout cas, c'est ainsi que le ressent, en France, la majeure partie de la population, et surtout les jeunes.
Je suis à cet égard frappé par l'évolution des jeunes, notamment les étudiants, très partagés sur le sujet du Proche-Orient il y a vingt ans, massivement pro-palestiniens aujourd'hui.
Le lien entre la lutte contre l'antisémitisme et la défense à tout prix d'Israël tourne court, et peut même s'avérer contre-productif. On ne combattra pas l'antisémitisme en légitimant l'actuelle répression des Palestiniens par Israël. On peut, au contraire et malheureusement, le développer en agissant ainsi.
Le terrorisme intellectuel, qui consiste à accuser d'antisémitisme, ceux qui n'acceptent pas la politique des gouvernements d'Israël (et non pas l'Etat d'Israël), payant à court terme, peut s'avérer catastrophique à moyen terme. Il ne vient pas diminuer l'opposition au gouvernement israélien, mais vient, soit en modifier l'expression, qui devient éventuellement plus diffuse, plus sournoise, soit la renforcer et développer une irritation à l'égard de la communauté juive. Il isole celle-ci sur le plan national.
Heureusement que quelques-uns de ses représentants, comme Rony Brauman ou Pierre Vidal- Naquet, se sont publiquement désolidarisés de la répression israélienne, interdisant des amalgames redoutables.
Créer un lien entre la lutte contre l'antisémitisme et le soutien ou la non-condamnation de Sharon, ne peut guère servir la première cause, loin de là. Il y a des cas -nous en avons de semblables en France- où la politique menée par un gouvernement, dessert la nation qu'elle est censée servir. Ce n'est pas aider cette nation que de ne pas se démarquer, dans ce cas, du gouvernement en question.
A miser sur son poids électoral pour permettre l'impunité du gouvernement israélien, la communauté juive est perdante, là aussi, à moyen terme. La communauté d'origine arabe et/ou musulmane s'organise également, voudra faire contrepoids et, du moins en France, pèsera plus vite lourd, si ce n'est déjà le cas. Il serait donc préférable, pour chacun, de faire respecter des principes universels et non pas le poids de chaque communauté. A vouloir maintenir une balance égale, entre forces de l'ordre israéliennes et manifestants palestiniens, mettre en parallèle les attentats des désespérés, qui sont prêts au suicide parce qu'ils n'ont pas d'autres horizons, et la politique planifiée de répression, mise en œuvre par le gouvernement israélien, le PS et le gouvernement sont considérés par une partie, de plus en plus importante, de l'opinion comme “injustes”. Pourquoi, ce qui vaut pour les Kosovars ne vaut-il pas pour les Palestiniens ?
Peut-on diaboliser Haider et traiter normalement Sharon, qui ne s'est pas, lui, contenté de dérapages verbaux mais est passé aux actes ? Ce sont des remarques, que l'on entend de plus en plus souvent.
Je suis frappé par le nombre de jeunes beurs, de Français musulmans de tout âge, qui se disent de gauche mais qui, par référence à la situation au Proche-Orient, affirment ne pas vouloir voter Jospin aux élections présidentielles. Une attitude jugée déséquilibrée au Proche-Orient -et bien sûr, pensent-ils, une fois de plus en défaveur des Arabes- vient confirmer que la communauté arabo-musulmane n'est pas prise en compte, ou est même rejetée, par la famille socialiste.
La situation au Proche-Orient et la timidité des socialistes, dans la condamnation de la répression israélienne, confortent un repli identitaire des musulmans en France, dont personne -juifs, musulmans, chrétiens ou païens- ne peut se réjouir. Il vaut, certes, mieux perdre une élection que son âme.
Mais, en mettant sur le même plan le gouvernement d'Israël et les Palestiniens, on risque tout simplement de perdre les deux.
Le soutien à Sharon mérite-t-il que l'on perde 2002 ?
Il est grand temps que le PS quitte une position qui, se voulant équilibrée entre le gouvernement israélien et les Palestiniens, devient du fait de la réalité de la situation sur place, de plus en plus anormale, de plus en plus perçue comme telle, et qui par ailleurs ne sert pas -mais au contraire dessert- les intérêts à moyen et long terme, du peuple israélien et de la communauté juive française.
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Précisions de Pascal Boniface
« Un lecteur pressé de L'Express du 6 décembre pourrait croire, en lisant l'article d'Eric Conan «Les chiffres noirs de l'antisémitisme» que j'aurais prôné au sein du PS, une modification de la politique à l'égard d'Israël pour obtenir les voix arabo-musulmanes. Sur un sujet aussi sensible, je crois indispensable de préciser les choses.
Dans une note rédigée en avril, sur le Proche-Orient, j'écrivais que partout ailleurs, face à une situation similaire, un homme de gauche condamnerait la puissance occupante. Cette entorse aux principes s'expliquait en grande partie par des raisons historiques (sentiment de culpabilité, fût-il tardif, par rapport à la Shoah et solidarité avec la démocratie israélienne, qui a eu bien du mal à exister au milieu des régimes arabes autoritaires). Cela ne doit pas empêcher aujourd'hui la reconnaissance des droits du peuple palestinien.
Même s'il y a des antisémites parmi les pro-Palestiniens, ils sont minoritaires et cela ne permet pas de dire que ceux qui réclament l'application de principes universels au Proche-Orient le font par haine du peuple juif. D'ailleurs de nombreux juifs ou Israéliens disent exactement la même chose. J'écrivais également dans cette note: «On ne luttera pas contre l'antisémitisme en légitimant l'actuelle répression des Palestiniens par Israël. On peut au contraire et malheureusement le développer ainsi.» Je notais que les jeunes étudiants (dans leur ensemble, et pas seulement les «beurs»), très partagés sur le Proche-Orient il y a vingt ans, étaient massivement pro-Palestiniens aujourd'hui. Je faisais remarquer que, si la communauté juive (dont je soulignais que plusieurs représentants s'étaient désolidarisés de la répression israélienne) misait sur son poids électoral pour permettre l'impunité du gouvernement israélien, elle pourrait être perdante à terme, car, en ce cas, la communauté arabe et/ou musulmane voudra faire contrepoids. C'était donc un constat, et non une préconisation, comme cela m'est parfois reproché avec une bonne dose de mauvaise foi.
C'est pourquoi j'écrivais: «Il serait donc préférable pour chacun de faire respecter des principes universels, et non le poids de chaque communauté.» Je ne prônais donc pas une communautarisation de la vie politique française, que je combats depuis toujours, mais au contraire la défense de principes universels, seuls capables de nous faire sortir du piège du communautarisme.
Je constate avec plaisir que de nombreux juifs ou Israéliens pensent la même chose et l'ont exprimé fortement. Je déplore qu'une petite minorité essaie d'étouffer ce débat en reprochant à ceux qui le portent d'être antisémites, s'ils ne sont pas juifs, ou d'être animés par la haine de soi, s'ils sont juifs. Ce n'est certainement pas le meilleur moyen de combattre le racisme, l'antisémitisme et le communautarisme.
Pressés ou pas, les lecteurs de la note confidentielle que Pascal Boniface a présentée au sein de la commission internationale du Parti socialiste ne peuvent que constater qu'il prônait bien une modification de la politique à l'égard d'Israël pour obtenir ce qu'il appelle des «voix arabo-musulmanes». Ainsi concluait-il: «A vouloir maintenir une balance égale entre forces de l'ordre israéliennes et manifestants [sic] palestiniens, mettre en parallèle les attentats des désespérés, qui sont prêts au suicide parce qu'ils n'ont pas d'autres horizons, et la politique planifiée de répression mise en oeuvre par le gouvernement israélien, le PS et le gouvernement sont considérés par une partie de plus en plus importante de l'opinion comme injustes''. Pourquoi ce qui vaut pour les Kosovars ne vaut-il pas pour les Palestiniens? Peut-on diaboliser Haider et traiter normalement Sharon, qui ne s'est pas, lui, contenté de dérapages verbaux mais est passé aux actes? Ce sont des remarques qu'on entend de plus en plus souvent. Je suis frappé par le nombre de jeunes beurs, de Français musulmans de tout âge, qui se disent de gauche, mais qui, par référence à la situation au Proche-Orient, affirment ne pas vouloir voter Jospin à l'élection présidentielle. Une attitude jugée déséquilibrée au Proche-Orient et bien sûr pensent-ils une fois de plus en défaveur des Arabes vient confirmer que la communauté arabo-musulmane n'est pas prise en compte ou est même rejetée par la famille socialiste. La situation au Proche-Orient, et la timidité des socialistes de [sic] condamner la répression israélienne conforte un repli identitaire des musulmans en France dont personne juifs, musulmans, chrétiens ou païens [sic] ne peut se réjouir. Il vaut certes mieux perdre une élection que son âme. Mais, en mettant sur le même plan le gouvernement d'Israël et les Palestiniens, on risque tout simplement de perdre les deux. Le soutien à Sharon mérite-t-il que l'on perde 2002?»
Interrogé par L'Express, le Parti socialiste précise que cette note, qui n'exprime pas sa ligne et ne constitue même pas un document de travail du parti, ne représente que l'opinion de Pascal Boniface. E. C