Une nécessité : sauver les Juifs

Fuir les pogroms

Les pogroms à Odessa en 1821,1849,1859,1871, en Ukraine 1862, en Russie durant les vagues de 1881-1884, 1903-1906, 1914-1921, ou à Kichinev en avril 1903 (45 morts, 586 blessés grièvement) provoquent un sursaut chez les Juifs, traditionnellement fatalistes face à l’adversité.

Le gouvernement tsariste, loin de calmer les choses, édicte une série de lois destinées à empêcher les Juifs de demeurer dans les villages, de posséder des biens immobiliers et acquérir des propriétés rurales, d'être électeurs, même dans les villes où plus du tiers de la population est juif... Les expulsions se multiplient, les Juifs sont parqués dans une zone d'établissement dont la superficie ne cesse de se rétrécir comme une peau de chagrin et leur situation économique empire régulièrement : quant aux violences, elles ne cessent pas de les menacer dans leur existence même... les juifs sont entassés ... l'atmosphère est presque irrespirable. Dans une  seule chambre, j'ai vu, ajoute l'enquêteur, dix personnes travaillant et couchant dans cet espace si restreint, pas de lits, on couche par terre hiver comme été ; les malheureux sont mal portants et leur misère est indescriptible" ( Le sionisme de 1881 à 1897 : origine et évoluation, Evelyne Tebeka, 1970, cahiers de la méditerrannée n°1)

"deux millions de personnes en tout fuiront les persécutions tsaristes entre 1880 et 1914. Les trois quarts partiront pour l’Amérique du Nord."

En France c’est l’affaire Dreyfus qui retient l’attention à la même époque. Des pogroms ont lieu aussi dans les pays arabes (à Aden, en Egypte, en Libye, au Yémen, en Irak).

Les Juifs ne sentent pas en sécurité sans un pays à eux.

 

Souvenir et vestiges

Ce pays, il l’ont eu, ils en ont été expulsé plusieurs fois. C'était il y a bien longtemps certes, mais tous leurs textes, leurs prières n’ont cessé de manifester le souhait d’y retourner. Ils en rêvent génération après génération. Il en reste une ville, Jérusalem fondée par leur ancien Roi, David, des noms de contrée, Sion, Judée, Samarie.

Des textes racontent cette histoire, comme le fait l'historien judéo-romain Flavius Josèphe dans la Guerre des Juifs ou Antiquités Judaïques. Il reste l'esplanade d'un temple deux fois détruit , un mur aujourd'hui sanctifié, une ville en contrebas de la vieille ville de Jérusalem.

Ce sont pour les Juifs « les sites de leur ancienne grandeur » pour lesquelles ils formulaient des « souhaits très émouvants ...depuis dix-neuf siècles ». selon les termes qu’emploie le Général de Gaulle dans une conférence de presse restée célèbre en 1967.

 

Renaissance de la nation juive

En 1862, Un Juif allemand, Moïse Hess, connu d’abord comme penseur socialiste proche de Karl Marx, publie, sous le titre « Rome et Jérusalem, la dernière question nationale », un ouvrage où il dénonce les illusions de l’assimilation et plaide pour une renaissance de la nation juive ;

« Nous demeurons toujours des étrangers parmi les nations. Celles-ci peuvent, animées d’un sentiment d’humanité et de justice, nous donner l’égalité des droits, mais elles ne nous respecterons jamais tant que nous ferons de l’adage « ubi bene, ibi patria » (« là où on est bien, là est la patrie ») notre règle de conduite et même une religion et les placerons au-dessus de nos grands souvenirs nationaux. Il se peut que le fanatisme religieux cesse de provoquer la haine des Juifs dans les pays les plus avancés du point de vue culturel ; mais en dépit des lumières et de l’éducation, le Juif en exil qui nie sa nationalité ne gagnera jamais le respect des nations chez lesquelles il habite... Ce que nous avons à accomplir dans le présent pour la régénération de la nation juive est d’abord de maintenir vivant l’espoir d’une renaissance politique de notre peuple, puis de réveiller cet espoir, là où il sommeille. Quand les conditions politiques en Orient seront propices à l’organisation d’un début de rétablissement de l’Etat juif, ce début s’exprimera par la création de colonies juives dans le pays de leurs ancêtres ».

En 1882, Leon Pinsker, un médecin juif d'Odessa, publie "Autoémancipation". Il prône l'établissement d'un foyer national juif : "Une terre à nous, (…) un grand bout de sol pour nos pauvres frères, un bout de sol dont nous aurions la propriété et d’où nul étranger ne puisse nous chasser."

 

L'Etat des Juifs

"Entre 1881 et 1890, 10 000 migrants fondent des colonies agricoles, le long de la plaine côtière et dans les collines de Galilée, s'ajoutant aux 25000 Juifs vivant depuis des siècles entre Jérusalem, Tibériade, Safed et Hébron."

Le mot sionisme "zionismus" est forgé en 1890 par Nathan Birnbaum, lui même sioniste.

En 1896, Herzl publie l'Etat des Juifs et créé le congrès juif mondial dans la foulée. Il écrit alors "A Bâle, j’ai fondé l’Etat juif… Dans cinq ans peut-être, dans cinquante sûrement, chacun le verra. ".

Pour Denis Charbit, auteur d'une série de conférences sur le sionisme, il faut aborder "réfléchir sur le projet sioniste comme un projet à cinq volets". Il distingue ainsi :

- le volet territorial, il n'y a pas de projet sioniste sans l'idée d'un territoire pour les juifs.

- Le deuxième volet c'est qu'il n'y a pas de sionisme sans nation, sans nation juive.

- Le troisième volet  tourne autour du politique, il n'y a a pas de sionisme sans la construction d'un État, qui va s'appeler à partir de 1948, l'État d'Israël.

-  il n'y a pas de sionisme sans un projet linguistique et culturel qui est lié à la renaissance éclatante de l'hébreu, l'hébreu comme langue moderne, comme langue quotidienne, comme langue matérielle.

- le dernier volet est un volet humanitaire. Il n'y a pas de sionisme sans le rassemblement des exilés, sans le rassemblement des enfants de la diaspora vers l'État d'Israël

 

Emancipation et révolution

Charbit écrit que les Juifs avaient le choix entre l'émancipation et la révolution.

"Il faut bien comprendre le sionisme émerge comme solution politique à la question juive mais ce n'est pas la première solution qui apparait. Il y a en deux autres. Le sionisme s'inscrit dans ce terrain là, déjà balisé par deux autres solutions politiques à la question juive qui vont être embrassées par l'ensemble des Juifs tant en Europe centrale et orientale qu'en Europe occidentale.

C'est d'une part l'émancipation.

L'émancipation est la première solution politique à s'être proposée au bon vouloir des Juifs. Ça commence en 1791 avec l'émancipation des Juifs et c'est l'idée que les Juifs sont les citoyens des pays dans lesquels ils vivent, remplissent leur devoir religieux comme ils l'entendent , comme une affaire qui relève de la conscience privée. Mais ils n'existent pas comme entité collective. Je fais référence à la fameuse phrase de Clermont-Tonnerre lors des débats sur l'émancipation à l'Assemblée Nationale : "tous les droits aux Juifs comme individu, aucun droits comme Nation", Comme nation, c'est à dire comme collectivité exceptée l'idée de communauté religieuse. Bien entendu selon les principes de la tolérance, ils peuvent continuer d'exister comme communauté confessionnelle.

La deuxième solution politique qui s'ouvre aux Juifs c'est la révolution

C'est notamment le cas en Russie tsariste, où on estime qu'après les persécutions, après les pogroms des années 1880 qui continuent également par la suite, après les mesures vexatoires et discriminatoires contre les Juifs, c'est pas émigrer qu'il faut faire comme le font beaucoup de Juifs, près de deux à trois millions de Juifs le font à cette époque, ce qu'il faut c'est rester en Russie et adhérer au programme de la révolution socialiste. Les Juifs vont se retrouver dans tous les courants de cette révolution. Vous allez trouver des Juifs parmi les anarchistes, parmi les trotskystes, parmi les léninistes, les communistes, les socialistes, la SPD en Allemagne à Léon Blum en France.

Voila la deuxième solution est l'idée d'adhérer à un mouvement révolutionnaire qui par la question sociale va résoudre la question juive. Et le sionisme s'intègre comme troisième solution. Cette troisième solution c'est le regroupement des Juifs en terre d'Israël et la création d'un État.

A coté de ces trois solutions, vous avez bien entendu le bloc massif encore à cette  époque là ceux qui pensent que les Juifs doivent rester dans un strict respect de la tradition, et cette tradition implique, exige d'attendre que Dieu intervienne pour résoudre en quelque sorte la question juive par le messianisme."