Vous avez décidé de me faire le grand honneur de me remettre le titre de Docteur en Philosophie au même titre que de brillantes personnes qui en sont certainement dignes. Permettez-moi de partager avec vous des pensées venant du fond du cœur.
Je considère que je suis ici uniquement en tant que représentant de Tsahal, l’Armée de Défense d’Israël, toute entière, représentant les milliers d’officiers et les dizaines de milliers de soldats à qui l’État d’Israël doit la victoire de la Guerre des Six Jours.
On se demandera certainement qu’est ce qui a décidé l’Université à remettre à un soldat, en reconnaissance de ses services de guerre, le titre de Docteur en Philosophie ? Qu’est - ce que les soldats ont à voir avec le monde universitaire, qui représente la vie de la civilisation et de la culture ? Qu’ont à faire ceux qui sont professionnellement actifs dans la violence avec les valeurs spirituelles ? La réponse se trouve, je pense, dans le fait qu’en choisissant d’honorer mes frères d’armes à travers le titre que vous me décernez, vous avez choisi d’exprimer votre estime pour le caractère spécial de Tsahal, qui reflète le caractère distinctif du peuple juif dans son ensemble.
Le monde a admis que l’Armée d’Israël se distingue de la plupart des autres armées. Bien que sa mission première, le maintien de la sécurité, soit effectivement de nature militaire, l’armée assume également de nombreuses tâches orientées vers des objectifs pacifiques. Ces objectifs ne sont pas destructifs, ils sont au contraire constructifs et sont réalisés dans le but de renforcer les ressources culturelles et morales de la nation. Notre œuvre éducative est bien connue : elle a été récompensée à l’échelle nationale en 1966, lorsque Tsahal s’est vu décerner le prix d’Israël pour l’Éducation. Le corps d’armée du Nahal qui allie le service militaire au travail agricole, assure déjà la présence d’enseignants dans les villages frontaliers, contribuant ainsi également au développement social. Ce ne sont là que quelques exemples des activités spécifiques de Tsahal dans ces domaines.
Cependant, ce n’est pas pour ces activités que l’Université nous décerne aujourd'hui un titre honorifique, mais bien en reconnaissance de la force morale et spirituelle dont l’armée a fait preuve justement à l’heure du combat. Car nous sommes ici aujourd’hui seulement grâce à cette qualité, qui a stupéfié le monde entier.
La guerre est par nature rude et cruelle, ses compagnons sont le sang et les larmes. Mais la guerre que nous venons de livrer nous a également apporté quelques merveilleux exemples d’un courage et d’un héroïsme rarissimes, et les expressions les plus touchantes de fraternité, de camaraderie et même de grandeur spirituelle. Ceux qui n’ont pas vu les membres de l’équipe d’un tank continuer à se battre alors que leur commandant était mort et que le tank était presque totalement détruit, ceux qui n’ont pas vu les soldats du Génie risquer leurs vies pour évacuer d’un champ de mines leurs camarades blessés, ceux qui n’ont pas été témoins de l’inquiétude pour un pilote tombé en territoire ennemi et des efforts sans relâche de toute l’Armée de l’air pour venir à son secours, ne peuvent pas savoir ce que peut être le dévouement entre compagnons d’armes.
La récente prise de la Vieille Ville [de Jérusalem] a exalté la nation, et nombre d’Israéliens en ont pleuré d'émotion. Nos jeunes Sabras et encore moins nos soldats, ne sont pas enclins aux effusions sentimentales et évitent les épanchements d’émotions en public. Dans ces circonstances, toutefois, la tension du combat, l’anxiété qui le précéda, se sont ajoutées au sentiment de délivrance, au sentiment de se trouver au cœur-même de l’Histoire juive pour briser cette carapace d’endurcissement et de défiance, éveillant des élans de sentiments et de découverte spirituelle. Les parachutistes qui ont conquis le Mur, se sont appuyés sur ses pierres pour y verser des larmes. Ce fut un acte qui, par sa signification symbolique, n’a que peu d’équivalents dans l’histoire des nations. Nous, militaires, n’avons pas l’habitude d’utiliser des grandes phrases, mais à cet instant, la révélation vécue sur le Mont du Temple, d'une vérité profonde, foudroyante, l'a emporté sur les contraintes auxquelles nous sommes habituellement soumis.
Ce n’est pas tout. L’allégresse de la victoire a gagné le peuple entier. On observe néanmoins chez les soldats un phénomène curieux. Ils ne peuvent être pleinement heureux. Leur triomphe est marqué par la douleur et le choc; certains d'entre eux sont incapables de se réjouir du tout. Sur le front, les hommes ont vu de leurs propres yeux non seulement la gloire de la victoire, mais aussi son coût, celui des amis tombés à côté d’eux, baignant dans leur sang. Et je sais que le terrible prix payé par l’ennemi a aussi profondément marqué nos hommes. Est-ce parce que c'est son éducation et non son expérience qui a habitué le peuple juif à exalter la conquête et la victoire qu’il les accueille avec des sentiments si partagés?
L’héroïsme manifesté au cours de la Guerre des Six Jours a largement dépassé celui de l’individu, celui des assauts audacieux dans lesquels un homme se jette sans presque y réfléchir. De nombreux endroits ont été la scène de combats longs et désespérés : Rafah, El-Arish, Um-Kal, Um Kataf, Jérusalem et les hauteurs du Golan. Là, comme ailleurs, nos soldats ont fait preuve d’une bravoure et d’une endurance qui ont inspiré l’émerveillement et l’exaltation de ceux qui en ont été les témoins. Nous avons largement évoqué la victoire d’une petite armée contre une grande armée. Cette fois, peut-être la première depuis les invasions arabes du printemps 1948, depuis les batailles de Negba et Degania, des unités de Tsahal de chaque région ont combattu à forces inégales. Des unités relativement restreintes ont pénétré dans de longs et profonds réseaux de fortifications, entourées de centaines et de milliers d'ennemis en armes, au travers desquels elles devaient se frayer une voie, pendant de longues heures. Les hommes continuèrent même une fois l’exaltation de la première charge passée, alors qu’il ne leur restait, pour les soutenir, que la conviction de notre force et de l'absence d'alternative, la confiance dans le but de cette guerre et l’incontestable nécessité de faire appel à chaque étincelle de force de l’esprit pour continuer à se battre jusqu’au bout. Ainsi, nos forces blindées ont pu percer tous les fronts, nos parachutistes se sont battus jusqu’à ce qu’ils arrivent à Rafah et à Jérusalem, nos soldats du Génie ont nettoyé les champs de mines, sous le feu de l’ennemi. Les unités qui ont pénétré les lignes ennemies après des heures de combat, ont lutté, refusant de s’arrêter, tandis que leurs compagnons tombaient de toutes parts. Ces unités étaient transportées, non par les armes ou les techniques de combat, mais par la puissance de valeurs morales et spirituelles.
Nous avons toujours insisté pour avoir les meilleurs de nos jeunes dans les rangs de l’Armée de l’air. Quand nous disions « Ha-tovim la-tayiss" ("les meilleurs à l’Armée de l’air"), ce qui est devenu une norme pour l’armée entière, nous ne faisons pas seulement allusion au savoir-faire technique et aux capacités. Ce que nous voulions dire est que si notre armée de l’air a été capable de battre en quelques courtes heures les forces de quatre pays ennemis, ce n’était que parce qu’elle était soutenue par des valeurs morales et humaines. Nos pilotes, qui ont frappé les avions ennemis avec une telle précision que personne n’a pu la comprendre et dont le monde entier cherche à expliquer le secret par des moyens technologiques, faisant allusion à des armes secrètes; nos forces blindées qui ont tenu bon et ont vaincu l’ennemi, même lorsque leur matériel était inférieur; nos soldats qui dans tous les corps d’armée ont résisté à nos ennemis malgré l' avantage de ceux-ci en nombre et fortifications: tous ont fait preuve non seulement de sang-froid et de courage dans la bataille, mais aussi d’une foi passionnée dans le bien-fondé de leur cause, de la certitude que seule leur résistance personnelle, individuelle, envers les plus grands dangers pourra sauver leur pays et leurs familles, que l’alternative à la victoire était l’anéantissement.
Dans chaque domaine, nos commandants, à tous les échelons, ont prouvé leur supériorité sur ceux de l’ennemi. Leurs ressources intérieures, leur intelligence, leur capacité d’improvisation, le souci de leurs troupes, et au-delà de tout, la capacité à diriger leurs hommes pendant la bataille, ne sont pas des questions de technique et d’équipement. Il n’y a qu’une explication intelligible: leur profonde conviction du fait que cette guerre qu'ils livraient était juste.
Toutes ces choses viennent de l’esprit et y reviennent. Nos soldats l’ont emporté, non pas par la puissance de leurs armes, mais par leur sens de remplir une mission, par la conscience qu’ils ont que leur cause est juste, par un profond amour de leur pays, et par la compréhension de l’importance de la tâche qui leur avait été confiée : assurer l’existence de notre peuple dans sa patrie et affirmer, même au prix de leurs vies, le droit du peuple juif à vivre dans son propre État, libre, indépendant et en paix.
L’armée que j’ai eu le privilège de commander durant cette guerre vient du peuple et y retourne: un peuple qui se surpasse en période de crise et l’emporte sur tous ses ennemis à l’heure des épreuves, grâce à sa force morale et spirituelle.
En tant que représentant de l’Armée de Défense d’Israël et au nom de chacun de ses soldats, c’est avec fierté que j’accepte votre marque d’estime.