« Il se passe quelque chose de significatif dans le territoire palestinien, agonisant après douze années de blocus égypto-israélien. Un phénomène imprévu, débuté à Jabaliya, que le mouvement islamiste armé essaie d’éteindre à coups de matraque. Depuis le 14 mars, des milliers de personnes ont participé à des manifestations pacifiques pour dénoncer le coût de la vie. La mobilisation dépasse celle de janvier 2017 contre les pénuries d’électricité. Ce mouvement lancé sur Facebook, qui a pris du nord au sud de la bande, avec une ampleur géographique elle aussi inédite, a un cri de ralliement : « Nous voulons vivre. » Il n’est pas dirigé contre le Hamas en particulier, aucun slogan ou pancarte n’osant franchir ce pas. Mais il vise d’abord cette faction. Et celle-ci l’a bien compris.
...« Les autorités ne tolèrent aucune voix critique, surtout s’il s’agit de mouvements sociaux, dit Hamdi Shaqqura, directeur adjoint de l’ONG Palestinian Center for Human Rights. Les jours précédant le premier rassemblement, ils ont arrêté des dizaines de jeunes identifiés comme des initiateurs sur les réseaux sociaux. Des journalistes ont été battus car ils ne veulent aucune couverture médiatique de ces événements. Ils aiment notre travail seulement quand nous documentons ce que font les Israéliens. »
Les interpellations, même pour quelques heures, se compteraient par centaines, estiment plusieurs sources, dont Amnesty International. Les policiers ont brisé des os. Plusieurs journalistes sont hospitalisés
...Le Hamas, lui, accuse les manifestants d’être téléguidés par Ramallah, la réconciliation entre factions étant dans l’impasse totale. »1
Le Hamas comme l'autorité palestinienne sont montrés du doigt pour leur usage abusif de la force. Human Right Watch a ainsi écrit un rapport en novembre 2018.
Le rapport de 149 pages, intitulé « ‘Two Authorities, One Way, Zero Dissent:’Arbitrary Arrest and Torture Under the Palestinian Authority and Hamas » (« ‘Deux autorités, une façon de faire, zéro dissidence’ : Arrestations arbitraires et torture par l’Autorité palestinienne et le Hamas »), évalue la récurrence des arrestations et les conditions de détention en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, 25 ans après que les Accords d’Oslo ont permis aux Palestiniens d’exercer un degré d’autonomie sur ces zones et plus de 10 ans après que le Hamas s’est emparé du contrôle effectif de la bande de Gaza. Human Rights Watch a rassemblé des documents sur plus de vingt cas de personnes qui ont été détenues sans aucun motif clair, mis à part le fait d’avoir écrit un article critique ou une publication Facebook, ou d’appartenir au mauvais groupe d’étudiants ou mouvement politique.
« Vingt-cinq ans après les accords d’Oslo, les autorités palestiniennes n’ont acquis qu’un pouvoir limité en Cisjordanie et à Gaza. Pourtant, là où elles jouissent de l’autonomie, elles ont développé des États policiers parallèles », a déclaré Tom Porteous, directeur adjoint de la division Programmes à Human Rights Watch. « Les appels à préserver les droits des Palestiniens lancés par les dirigeants palestiniens sonnent creux quand on sait qu’ils écrasent leurs dissidents.
...La pratique systématique des arrestations arbitraires et de la torture viole des traités sur les droits humains de premier plan, auxquels la Palestine a récemment adhéré. D’après les informations dont dispose Human Rights Watch, peu d’agents des corps de sécurité ont été poursuivis, et aucun n’a été reconnu coupable, pour les arrestations non justifiées ou les actes de torture.
...Les autorités palestiniennes se servent souvent de lois beaucoup trop générales, qui pénalisent le fait d’insulter « les plus hautes autorités », de créer des « querelles sectaires » ou de « porter atteinte à l’unité révolutionnaire », afin de détenir des dissidents pendant des jours ou des semaines, avant de finir par libérer la plupart sans les déférer devant un tribunal, préférant laisser les inculpations en suspens. Les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ont également arrêté 221 Palestiniens, pour des durées variées, entre janvier 2017 et août 2018. D’après la Commission indépendante pour les droits humains, organe officiel de suivi, ils ont été placés en détention administrative, sans inculpation ni procès, sur simple décret du gouverneur régional.
Un certain nombre de personnes ayant été détenues par l’Autorité palestinienne que Human Rights Watch a interrogées avaient aussi déjà été détenues par Israël, qui collabore avec les forces de l’Autorité palestinienne sur des questions de sécurité. À Gaza, les autorités du Hamas soumettent parfois la libération d’un détenu à la condition qu’il signe un engagement à cesser toute critique ou protestation.
...les forces palestiniennes ont souvent menacé, battu et forcé les détenus à demeurer dans des positions très pénibles et douloureuses pendant de longs moments, notamment en utilisant des câbles ou des cordes pour soulever leurs bras derrière le dos. Les policiers utilisaient souvent des techniques similaires pour arracher des aveux aux personnes détenues pour des inculpations criminelles, notamment liées aux stupéfiants. Les forces de sécurité forçaient également de façon routinière les détenus à les laisser accéder à leurs téléphones portables et à leurs comptes sur les médias sociaux. Ces mesures semblent avoir pour unique objectif de punir les dissidents et de les dissuader, ainsi que d’autres personnes, de poursuivre leur activisme.
...La pratique systématique de la torture par les autorités palestiniennes constitue peut-être un crime contre l’humanité, susceptible d’être poursuivi devant la Cour pénale internationale (CPI)
...« Les agressions de dissidents, manifestants, reporters et blogueurs, que commettent aussi bien l’Autorité palestinienne que le Hamas, sont systématiques et pourtant impunies », a conclu Tom Porteous. « Les gouvernements qui veulent aider le peuple palestinien à instaurer l’état de droit ne devraient pas soutenir les forces de sécurité qui y portent activement atteinte. » »2
18 mars : Manifestations à Gaza
Les manifestations dirigées, sans que le nom ne soit jamais mentionné contre le Hamas, ont été durement réprimées.
Dix-sept journalistes ont été mis en garde à vue. Dix ont ensuite été libérés et quatre dirigés vers l'hopital. Certains ont eu des os brisés, de la main ou la jambe.
En 2019, des manifestations sont de nouveau réprimées durement. Un envoyé de l'ONU dans les territoires condamne cette répression :
" Je condamne fermement la campagne d’arrestations et de violence utilisée par les forces de sécurité du Hamas contre des manifestants, dont des femmes et des enfants, à Gaza au cours des trois derniers jours », a déclaré Nickolay Mladenov,
« Je suis particulièrement préoccupé du passage à tabac brutal de journalistes et de membres du personnel de la Commission indépendante pour les Droits de l’homme et de descentes qui ont visé leurs maisons ».
« Les Gazaouis qui souffrent depuis longtemps manifestaient contre la situation économique terrible et demandaient une amélioration de la qualité de vie dans la bande de Gaza. C’est leur droit de manifester sans crainte de représailles ».
Le Hamas n’a pas réagi dans l’immédiat aux propos de M. Mladenov."4
1Le Monde Piotr Smolar, 19 mars 2019
4 Times of Israël 17 mars 2019