Sur une question fondamentale, « Qui est juif ? », le Parti National religieux en Israël s’est violemment opposé à David Ben Gourion et au parti travailliste au pouvoir.
On sait qu'une loi adoptée le 5 juillet 1950 par la Knesset, permet à tout juif dans le monde de venir s’installer en Israël et d’obtenir immédiatement et sans discussion la nationalité israélienne. Il s’agit de la « Loi du Retour », pilier de la politique d’immigration et d’intégration des juifs qui veulent quitter la diaspora et vivre en Israël.
Un visa d’immigrant est obligatoirement délivré à son arrivée à tout juif qui exprime le désir de s’établir en Israël, à moins que le ministre de l’intérieur ne soit convaincu que le candidat mène des activités dirigées contre le peuple juif, risque de porter atteinte à la salubrité publique ou à la sécurité de l’État, ou a un passé criminel susceptible de mettre en danger le bienêtre public (ce dernier point permettra un jour de « renvoyer » aux États-Unis Meir Lansky, l’ancien trésorier de la mafia américaine, qui voulait passer ses vieux jours en Israël).
La Loi du Retour était l’un des fondements de l’État juif, et elle l’est toujours. Toutefois, elle ne définissait pas de façon claire « Qui est juif ? » et différentes réponses à cette question étaient possibles. La halakha, la loi rabbinique traditionnelle, définit le juif comme une personne « née de mère juive ou convertie au judaïsme ». Une telle définition posait deux sérieux problèmes qui n’allaient pas tarder à se manifester.
Le cas des Juifs convertis à une autre religion
Tout d’abord, il y a des juifs, nés de mère juive, qui se sont convertis à une autre religion, principalement au christianisme, et qui continuent, aussi curieusement que cela puisse paraître, à se déclarer juifs.
Le cas le plus connu est sans doute celui de feu le cardinal archevêque de Paris, Mgr Aaron Jean-Marie Lustiger (1926- 2007), qui se considérait comme un « juif accompli ».
Concrètement, un prêtre d’origine juive, le père Daniel Rufeisen va s’installer en Israël et demander à bénéficier de la Loi du Retour.
Oswald Daniel Rufeisen (1922-1998), né à Zadziele en Pologne, se cacha durant la guerre dans un monastère où il se convertit au catholicisme et participa activement au sauvetage de centaines de juifs de la ville de Mir. En 1945, il prit l’habit des carmélites, et en 1950 il demanda à s’installer en Israël et à recevoir la citoyenneté israélienne sur la base de la Loi du Retour, ce qui lui fut refusé par les autorités, refus confirmé par la Cour suprême d’Israël.
Les enfants de père juifs né d'une mère non juive
Un second problème sera celui des juifs israéliens mariés à une non-juive, qui demanderont à faire inscrire leurs enfants comme juifs.
Dans les premières années de l’État, alors que le ministre de l’intérieur était un des dirigeants laïques du parti travailliste, les premiers règlements ministériels fixaient la nécessité, pour tout citoyen, de déclarer lui-même sa religion.Jusqu’au milieu des années cinquante, les procédures d’enregistrement étaient très vagues.
Mais le 10 mars 1958, le Premier ministre David Ben Gourion édicta une nouvelle directive entérinant la liberté de chacun de se définir comme il l’entendait : « Toute personne qui déclare de bonne foi qu’elle est juive doit être inscrite comme juive, et on ne demandera pas d’autre preuve de ce fait. ». La conséquence de cette directive officielle était qu’une personne non juive du point de vue de la halakha (par exemple née de père juif et de mère non-juive) pourrait être inscrite comme juive sur sa propre affirmation.
Les deux partis religieux Agoudat Israël et PNR partirent aussitôt en guerre.
Peu après, le gouvernement Ben Gourion modifia sa directive en insérant la règle qu’une personne qui se déclare juive ne doit pas adhérer à une autre religion.
Mais restait le fait que, contre l’avis des autorités rabbiniques, la simple déclaration des parents était maintenue comme preuve de « judéité ». Une grave crise ministérielle s’ensuivit.
Après les élections de 1959, le PNR se joignit comme d’habitude à la coalition gouvernementale de Ben Gourion, mais son leader Moshe-Haim Shapira exigea d’obtenir pour lui-même le portefeuille de l’intérieur, et il édicta une nouvelle ordonnance gouvernementale beaucoup plus stricte : serait désormais enregistrée comme juive « toute personne née de mère juive et non membre d’une autre religion, ou bien convertie au judaïsme ».
Sans doute les politiciens et les dignitaires religieux pensaient-ils que l’affaire était résolue. Pas du tout.
À la fin des années soixante, Binyamin Shalitt, un officier juif israélien dont la femme n’était pas juive, voulut faire inscrire ses enfants comme « juifs » en contradiction formelle avec la halakha. Le ministère de l’intérieur refusa et cet officier porta l’affaire devant la Cour Suprême. Il fit valoir le fait qu’il vivait avec sa famille en Israël, qu’il était officier dans Tsahal, que la famille écossaise de sa femme était sioniste et qu’il avait décidé d’élever ses enfants comme juifs. Par cinq voix contre quatre, dans un jugement s’étendant sur 132 pages, la Cour Suprême d’Israël donna raison à Shalitt et intima l’ordre au ministre de l’intérieur d’inscrire les enfants comme juifs à la demande et sur la déclaration de leur père, en l’absence de toute législation disant le contraire. Une nouvelle crise ministérielle s’ensuivit et selon l’exigence des partis religieux le gouvernement amendera la Loi du Retour en 1970, en précisant dans le texte même de la loi la règle, qui est toujours en vigueur : « Est juif quiconque est né de mère juive ou s’est converti et n’appartient pas à une autre religion ».
Quelle conversion ?
Cet amendement ne résoudra d’ailleurs pas entièrement le problème, puisque l’expression « s’est converti » ne dit pas explicitement qu’il s’agit d’une conversion faite par un rabbin orthodoxe, un rabbin de tendance « conservative » ou un rabbin réformé ! Les mouvements du judaïsme non orthodoxe, conservative et réformé, très majoritaires chez les juifs des États-Unis, vont peu à peu étendre leurs activités en Israël et la question des conversions effectuées par leurs rabbins va être posée avec de plus en plus d’acuité.
Pour les orthodoxes, une « conversion » est obligatoirement effectuée sous l’autorité d’un rabbin orthodoxe et comporte nécessairement la circoncision de l’homme ou le passage par le bain rituel de la femme. Surtout, et c’est le plus grave, une conversion n’est valable pour les orthodoxes que moyennant l’engagement formel du converti d’observer très strictement les commandements religieux (chabbat, lois alimentaires, etc.), ce qui pose beaucoup de problèmes.
Les rabbins orthodoxes observent d’ailleurs la conduite religieuse du futur converti durant une longue période avant de consentir à le convertir. Les conversions faites par les rabbins conservative et surtout reformés sont beaucoup plus simples, rapides et moins contraignantes. Cette question de la conversion au regard de la Loi du retour n’est toujours pas résolue.
(extraits d'un article d'Ilan Greisammer, 2013)