Sur les réunions dites "en non-mixité"

 

L'ancienne journaliste devenue adjointe d'Anne Hidalgo était interrogée sur ce sujet, qui agite une partie de la classe politique depuis plusieurs jours à la suite d'une interview de la présidente de l'Unef, Mélanie Luce.

La représentante syndicale avait déclaré que de telles réunions pouvaient se tenir au sein du syndicat étudiant, que ce soit entre femmes pour leur permettre "d'exprimer les discriminations qu'elles peuvent subir" et qu'en parallèle, pouvaient également se tenir "des réunions pour permettre aux personnes qui sont effectivement touchées par le racisme de pouvoir exprimer ce qu'elles subissent".

Des propos qui ont suscité une intense polémique, et continuent à déchirer la classe politique. La polémique a conduit 250 anciens membres du syndicat, dont Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, à le défendre dans une tribune parue dans Le Monde.

Invitée à développer sa position samedi sur BFMTV au sujet des "réunions en non-mixité raciale", Audrey Pulvar a répondu qu'elle récusait "le mot race": Je considère qu'il y a une race humaine. Oui, il y a des personnes qui ont la peau plus ou moins pigmentée, des traits plus ou moins ci plus ou moins ça. (...) Après, il y a des hommes ou des femmes noires, il y a des hommes ou des femmes de diverses origines, nous ne nous ressemblons pas tous, nous n'avons pas les mêmes vécus, les mêmes histoires, les mêmes combats, nous ne subissons pas les mêmes discriminations, nous n'avons pas les mêmes privilèges mais nous sommes tous et toutes des êtres humains", a développé l'élue parisienne.

Sur le fond, "que des personnes discriminées pour les mêmes raisons et de la même façon sentent la nécessité de devoir se réunir entre elles pour pouvoir en discuter, ça ne me choque pas profondément, selon la façon dont les choses sont formulées", a-t-elle ensuite déclaré.

"Je préfère les réunions 'réservées à' que les réunions 'interdites à'. Je ne joue pas sur les mots, parce que si vous dites (...) 'groupe de travail consacré aux discriminations dont font l'objet les personnes noires ou métisses', quelque chose me dit que 95 ou 99% des participants spontanément à cet atelier seront les personnes dont il est question dans l'intitulé, mais si il se trouve que vient à cet atelier une femme blanche, un homme blanc etc, j'aurais tendance à dire qu'il n'est pas question de le ou la jeter dehors, en revanche on peut lui demander de se taire, on peut lui demander d'être spectatrice ou spectateur silencieux", a-t-elle étayé.

"Je ne dis pas qu'il faut qu'il soit interdit d'entrée, mais qu'il ou elle se taise et laisse parler les personnes les plus concernées", a-t-elle insisté. (article BFM

 

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 Audrey Pulvar : « Je laisse les voix opportunistes et destructrices de la droite et de l’extrême droite à leurs bruyantes furies »

La candidate aux élections régionales en Ile-de-France Audrey Pulvar répond aux commentaires indignés qui, à droite, à l’extrême droite et jusque dans la majorité présidentielle, ont suivi ses propos sur les réunions « non mixtes ».

Publié le 30 mars 2021

Tribune. 95 000. C’est le nombre de personnes qui, en cette fin mars, ont perdu la vie, en un an, dans notre pays, victimes du Covid-19. Un terrifiant bilan, hélas provisoire, auquel s’ajoutent le basculement de 1 million de personnes déjà précaires dans la grande pauvreté, les tourments d’une jeunesse sacrifiée, l’angoisse permanente pour des dizaines de milliers de chefs d’entreprises, de petits commerçants et artisans, le casse-tête quotidien de parents, sans recours devant des écoles fermées pour cause de nouveaux cas détectés.

Tandis que monte la troisième vague, soignants, enseignants, personnels qui accueillent des enfants, accompagnants de personnes en grande vulnérabilité, convalescents Covid long se remettant mal ne cessent de nous alerter sur la gravité de la situation et leur propre état d’épuisement physique et mental…

Pourtant, un sujet, un seul, occuperait les esprits depuis 72 heures, si l’on en croit réseaux sociaux, chaînes d’info et comptes propagateurs de haine : les propos que j’aurais tenus, intimant « aux Blancs » le silence, quand il s’agit de parler de racisme. Bigre ! Celles et ceux qui ont pris la peine de m’écouter savent, à condition d’honnêteté, qu’il n’en est rien.

Toujours engagée au service des luttes pour les libertés

Mais, par un spectaculaire retournement, là où je refusais le principe de réunions totalement fermées – j’ai dit mon opposition aux réunions « interdites à » –, là où j’invitais simplement à écouter, sans l’interrompre, la parole de victimes, qui doivent pouvoir être les premières à s’exprimer, la droite et l’extrême droite, complaisamment relayées, ont fait croire et répété à l’envi que je voulais empêcher la parole.

Jamais je n’ai dit vouloir réduire au silence une partie de la population, pour quelque motif que ce soit, et encore moins pour sa couleur de peau. Jamais je n’ai prononcé ni conçu les mots « les Blancs doivent se taire », phrase pourtant répétée à l’infini par des éditorialistes pressés d’en découdre et des zélotes de la pensée étroite. Une telle phrase ne m’aurait même pas effleuré l’esprit, tant elle est contraire à tout ce que je suis, à tout ce que je porte et tout ce pour quoi je me bats.

D’abord parce que, en tant que citoyenne de toujours engagée au service des luttes pour les libertés, contre les discriminations, pour l’égalité des droits de toutes et tous, je ne conçois les combats émancipateurs que partagés. Je suis, je l’ai dit, écrit et répété, une féministe qui n’imagine pas progresser sans emmener avec moi les hommes, nos frères, nos fils, nos compagnons.

Les groupes dits en « non-mixité » n’ont pas ma préférence

Ensuite parce qu’en tant qu’élue, au service des Parisiennes et des Parisiens, que je sers chaque jour, c’est avec tous les maires d’arrondissement, quelle que soit leur couleur politique, c’est dans tous les quartiers et pour toutes et tous, qu’ils aient ou pas été nos électrices et électeurs, que je mets en œuvre la politique voulue par Anne Hidalgo et notre majorité, dans le périmètre de ma délégation, pour une amélioration, entre autres, de l’alimentation en restauration collective pour les enfants à l’école, les personnes âgées en Ehpad, les personnes aux ressources limitées, en restaurants solidaires, l’implantation d’épiceries solidaires de proximité, la valorisation du « produire proche », la juste rémunération des agriculteurs et agricultrices dont les productions alimentent Paris et qui créent de l’emploi inclusif, non délocalisable.

A une question posée sur les groupes de paroles dits en « non-mixité », c’est-à-dire accueillant des personnes victimes d’un même type de discriminations, pour les mêmes raisons, j’ai répondu, comme déjà plusieurs fois par le passé, que ces groupes n’avaient pas ma préférence, mais que je peux concevoir, entendre, la nécessité pour des personnes discriminées, en raison de leur sexe, de leur couleur de peau, de leur orientation ou de leur identité sexuelle, de se retrouver « entre elles », pour échanger, se rasséréner, trouver ensemble les moyens de se protéger d’autres exactions.

Ces groupes existent depuis des décennies, ils ont permis l’émancipation de la parole, le réconfort pour des personnes en grande détresse, la sensation, presque libératrice, de se savoir soudain moins seule face à l’adversité quotidienne. Ils ont donné, à beaucoup, « la force de regarder demain ».

C’est aux victimes de s’exprimer les premières

Prenant l’exemple d’un groupe qui pourrait réunir des personnes discriminées en raison de leur couleur de peau ou de leur origine, j’ai évoqué la possibilité que d’autres militants ou citoyens qui ne sont pas victimes de racisme y participent, sans difficulté, mais à condition, et je le maintiens, comme chaque fois que l’on assiste à ce genre d’échanges en tant qu’allié, d’être d’abord dans une écoute bienveillante de la parole des personnes discriminées. C’est aux victimes de s’exprimer les premières.

J’ai utilisé le verbe « se taire », parce que c’est généralement ce que l’on fait, quand on veut réellement écouter l’autre, avant ensuite de prendre la parole… J’ai ajouté que c’est ce que moi-même je fais, quand il m’arrive d’assister à des réunions de groupes de victimes de discriminations ne m’atteignant pas au premier chef. Ecouter, entendre, partager ensuite. C’est le principe même de fonctionnement de ces groupes où se retrouvent des victimes, quelles qu’elles soient.

D’aucuns y ont vu une forme de sommation au silence. A tort. A celles et ceux que ma formulation a pu heurter, en leur donnant la sensation que je voulais d’emblée les exclure, je veux dire ici que tels n’étaient ni mon propos ni mon intention. J’ai toujours choisi l’expression de la parole, l’échange et la pédagogie, dans des conditions de débat apaisé.

Vous mentez et vous le savez

Aux autres, les polémistes de réseaux, les dévoreurs de lumière de studios jamais rassasiés d’être vus, jamais à court d’ires, d’excès égotiques, d’effets de manches, qui me traitez de « racialiste », d’« indigéniste », me taxez de racisme, je vous le dis : vous mentez. Vous mentez et vous le savez.

Jamais las de discréditer qui ne hait comme vous, vous faites fi, à dessein, d’années de combats, auprès d’associations féministes et antiracistes, de mon implication sans faille, constante, dans la lutte contre l’antisémitisme, des nombreux textes et prises de paroles en ce sens ont jalonné mes années d’engagement et m’ont souvent déjà valu vos hourvaris.

Qu’on me permette de rappeler qu’ils et elles peuvent témoigner par centaines, par milliers, qui m’ont entendue dire et répéter dans des dizaines de tables rondes et conférences sur l’égalité des droits, sur le féminisme, contre le racisme, que les luttes d’émancipation se mènent ensemble ; que le féminisme n’est pas qu’une affaire de femmes, mais bien une question de société, et que, pour que l’égalité progresse réellement, nous avons toutes et tous autant besoin de femmes que d’hommes féministes, car « plus les femmes sont libres, plus les hommes le sont ».

Une citoyenne engagée

Je serais raciste, quand j’ai écrit tant de fois, dit et répété pas plus tard que samedi dernier, dans cette fameuse interview sur BFM-TV, que je récuse le mot « race », qu’il n’y a pas, selon moi, de « race blanche » ou de « race noire », mais des êtres humains, auxquels il arrive d’avoir des couleurs de peau différentes ?

Oui, pour certaines et certains, pour nous, dont la couleur de peau est autre que blanche, naître, grandir, vivre s’apprend sous le joug d’un déterminisme discriminant. Non, en parler n’est pas être raciste. A la tête d’Ile-de-France en commun, mouvement d’union de la gauche écologiste citoyenne et engagée, je porte, pour les prochaines élections régionales, une alternative à la politique menée par la droite de Valérie Pécresse.

Je ne suis pas une femme politique au sens généralement entendu, je suis une citoyenne engagée, non encartée, qui tient à garder cette singularité. A l’automne 2020, j’ai indiqué à toutes celles et tous ceux qui me faisaient l’honneur de me rejoindre que ce rassemblement ne pourrait se faire qu’à trois conditions :

  • Que ce mouvement ne soit pas celui d’un seul mais de plusieurs partis de gauche, unis, aux côtés de citoyennes et citoyens dits « de la société civile ».

  • Qu’il soit de gauche, résolument de gauche, fièrement de gauche. Exclusivement de gauche.

  • Qu’il ait pour boussole les valeurs de la République. Nous sommes engagés pour que la promesse républicaine de Liberté, d’Egalité, de Fraternité soit tenue, pour toutes et tous. Et pour que la loi sur la laïcité, sa partition, éclaire chacun de nos pas.

Je laisse les voix opportunistes et destructrices de la droite et de l’extrême droite à leurs bruyantes furies. Bien certaine que « cette part jamais fixée, en nous sommeillante, d’où jaillira demain le multiple », comme nous y invite René Char, saura nous conduire, nous peuple de gauche, vers le chemin commun qu’il nous faut ouvrir, pour répondre, en responsabilité, aux urgences sociales, écologiques et de solidarité qui nous obligent.

 

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« La réunion non mixte n’est pas une fin mais un outil qui peut être utile pour des victimes »

L’avocat Patrick Klugman défend la prise de position d’Audrey Pulvar et l’usage de la non-mixité comme outil de libération de la parole.

Tribune. La polémique contre Audrey Pulvar, au sujet des réunions « racisées », à la suite de son entretien sur une chaîne d’information, est riche d’enseignements sur notre fonctionnement démocratique, ou plutôt notre dysfonctionnement collectif. La candidate à la présidence de la région Ile de France a livré quarante minutes d’interview. Une minute sera isolée et partagée à l’infini sur Twitter. Instantanément, un lynchage commença, complaisamment relayé sans aucun égard pour le sens de ses propos.

Quoi que l’on pense de la phrase d’Audrey Pulvar, que l’on trouve maladroite ou malheureuse, ce qui est mon cas, la politique ne peut pas se réduire à la polémique. Le débat public ne peut pas se transformer en un exercice de tir à vue, et si possible à mort, dès qu’un propos est sorti de son contexte ; soit que le tireur agisse seul et de manière anonyme, soit qu’il chasse en meute.

Audrey Pulvar n’est pas née sur Twitter à la faveur de cette phrase demandant à un Blanc de se taire s’il participe à une réunion « réservée aux personnes noires ». Elle parle, pense, écrit des tribunes et des livres depuis longtemps. Elle est une militante féministe de toujours, engagée depuis longtemps pour la préservation de l’environnement, contre le racisme et l’antisémitisme, et jamais prise à défaut sur une vision fraternelle, universaliste et républicaine de sa parole.

« Il existe des paroles inaudibles pour autrui »

Bien avant son investissement en politique, sa voix n’a jamais manqué, y compris quand c’était plus simple pour sa carrière de se retrancher derrière l’impartialité de la journaliste politique qu’elle était. Ce n’est pas la défendre que de rappeler cela. C’est simplement se respecter quant à l’honnêteté de la critique qui lui est adressée.

Enfin, si cette phrase ne jurait pas avec sa pensée, personne d’ailleurs ne l’aurait relevée. Mais il faut aller plus loin sur la question des réunions non mixtes qui défraient la chronique depuis que la présidente de l’UNEF, jadis premier syndicat étudiant et organisation matricielle de toutes les composantes de la gauche politique depuis cinquante ans, en a fait la promotion au micro de Sonia Mabrouk.

Une réunion interdite aux hommes, aux Blancs, est-ce choquant ? A l’évidence, oui. Mais ce sentiment peut être dépassé, et en tout cas complété. Nous apprenons du mouvement #metoo l’importance de la libération de la parole. Tous ceux qui accompagnent des victimes le savent : il existe des paroles inaudibles pour autrui, qui sont souvent, et en premier lieu, indicibles pour les victimes elles-mêmes.

Mise en avant de l’exemple du MLF

Face à ce phénomène d’autocensure, une des solutions thérapeutiques les plus éprouvées demeure le groupe de parole. Le groupe de parole est l’autre nom de la réunion non mixte. Les réunions réservées aux femmes faisaient partie des moyens proposés par le Mouvement de libération des femmes (MLF) il y a cinquante ans, au moment où se réinventait le féminisme militant.

Cela a toujours fait débat, y compris au sein du MLF, mais cela a existé, au milieu ou à côté d’autres moyens de se réunir, de se mobiliser avec des hommes, voire avec d’autres causes ou luttes qui avaient des ressorts communs.

Que des personnes autodésignées comme noires aient ponctuellement besoin de se retrouver entre elles pour échanger sur un vécu commun et permettre de le verbaliser sans regard ni parole extérieurs, cela peut donc se concevoir ; voire même être nécessaire, non comme un moyen de lutte ou un objectif politique, mais simplement comme outil de verbalisation d’un vécu.

L’exemple de la parole des rescapés de la Shoah

Personne ne peut nier l’importance qu’à revêtue le témoignage de rescapés de la Shoah, à la fois dans l’appréhension de l’ampleur du crime que dans sa transmission. Or, pendant des décennies, les rescapés survivants, qui finiront par accorder un temps et une énergie considérables à aller à la rencontre des collégiens et des lycéens, ne pouvaient pas parler, y compris à leurs propres enfants.

Il n’y a que dans certaines amicales d’anciens déportés que la parole était libre, et libre d’ailleurs, pour chacun, de se comprendre sans avoir besoin de parler. Ces réunions étaient fondamentales et elles ont sans doute contribué à forger plus tard la capacité de dire, de témoigner et de partager avec le plus grand nombre.

L’exemple de la parole des rescapés de la Shoah illustre de manière éclairante le cheminement d’une parole d’un entre-soi où elle va être posée pour que plus tard elle puisse être appréhendée par tous. Ainsi, la réunion non mixte n’est pas une fin mais un outil qui peut être utile pour des victimes. Cette distinction est essentielle.

L’égalité ne peut se concevoir hors de l’universalisme

L’indigénisme commence au moment où l’on fait de cet entre-soi, non plus un moyen de libération de la parole qui ne pourrait se déployer ailleurs, mais une revendication en soi. L’UNEF, par la voix de sa présidente, ne s’embarrasse pas de ces considérations. Elle semble promouvoir une société fragmentée et divisée en catégories indépassables, qu’elles soient fonction du genre, de l’origine ou de l’appartenance sociale.

Précisément, tout ce qui concourt à l’égalité ne peut se concevoir hors de l’universalisme, a fortiori quand il ne s’agit plus des victimes mais de militants ou de publics plus larges qu’il faut fédérer. L’enjeu, bien sûr, est que chacun fasse sienne une histoire qui n’est pas la sienne et se l’approprie.

Ainsi, les hommes doivent s’inquiéter de la parité, les Blancs du sort réservé aux minorités, dans un mouvement qui permet à une société de sortir de l’entre-soi et de devenir fraternelle. La gauche a porté tout au long de son histoire ce combat pour l’égalité, de manière consubstantielle à l’instauration de la République.

Tout le parcours d’Audrey Pulvar montre qu’elle continue cette histoire et rien, y compris cette petite phrase, pour peu qu’on la contextualise, ne vient dire autre chose. Elle n’a jamais hésité à dénoncer des personnes ou des groupes qui visent, au nom de luttes pourtant essentielles dont nous partageons les objectifs, à enfermer les individus dans leurs origines plutôt qu’à les émanciper. Le procès qui lui est fait est odieux et, n’était-ce cette clarification nécessaire, probablement inutile.

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