LES ARCHIVES DU FIGARO - Il y a 120 ans le verdict du procès de l'écrivain Émile Zola tombait: un an de prison et 3.000 francs d'amende. Il était poursuivi pour diffamation à la suite de la parution dans L'Aurore de sa lettre sur l'affaire Dreyfus.
Des accusations pour une révision. Le 23 février 1898 Émile Zola est condamné à un an de prison et 3.000 francs d'amende pour diffamation, à la suite de la publication le 13 janvier 1898, de son célèbre et audacieux «J'accuse», paru dans l'Aurore. Ce procès est l'affaire dans «l'affaire Dreyfus», qui se termine le 12 juillet 1906. La condamnation du gérant du journal, Alexandre Perrenx, sera de quatre mois de prison et une amende d'un montant identique à celui de l'écrivain.
Dans cette lettre ouverte adressée au Président de la République Félix Faure, le journaliste et écrivain expose la machination qui a conduit en décembre 1894 à la condamnation d'Alfred Dreyfus -un officier français d'origine alsacienne, de confession juive- dans une affaire d'espionnage. Zola y dévoile également le véritable traître, le commandant Esterhazy -qui vient d'être acquitté quelques jours auparavant par le Premier conseil de guerre de Paris. C'est précisément cet acquittement qui l'a poussé à prendre la plume. Il termine son texte en dénonçant également les coupables de cette erreur judiciaire -l'État, dont le général Billot ministre de la Guerre, et l'état-major- par une litanie de «j'accuse…».
L'engagement de l'intellectuel dans «l'Affaire»
L'auteur, parfaitement conscient qu'il risque d'être poursuivi pour diffamation, souhaite relancer l'affaire Dreyfus et ouvrir la voie à la révision du procès du déporté de l'île au Diable (bagne de Cayenne en Guyane), injustement condamné. L'article fait l'effet d'une bombe, bouscule les certitudes de certains, le doute s'immisce davantage dans les esprits: l'affaire redémarre. Et devient politique.
L'engagement de Zola est très fort avec son pamphlet. C'est la première fois qu'un intellectuel s'engage autant dans une affaire. Celui de Zola n'est pas nouveau, l'écrivain s'est déjà exprimé publiquement dans Le Figaro sur l'antisémitisme (en 1896) et sur l'affaire Dreyfus à l'automne 1897. Ses propos mécontentent d'ailleurs les lecteurs qui menacent de se désabonner. Effrayé le journal prend ses distances avec Zola.
Sans surprise le ministre de la Guerre poursuit Émile Zola pour diffamation devant la cour d'assises de la Seine. Le procès se déroule à Paris du 7 au 23 février dans une ambiance particulière: la France vit dans un climat d'antisémitisme et de nationalisme très fort et les partisans et adversaires de Dreyfus s'affrontent. Les premiers mettent en avant la justice et la vérité quand les seconds font valoir le respect de la chose jugée et l'honneur de l'Armée. En 1898 la majorité des Français est antidreyfusarde, tout comme une très large majorité de la presse. Et l'agitation très vive dans la rue -sorte de guerre civile- menace la IIIe République, encore fragile à l'époque.
La foule se déchaîne contre Zola
Si Émile Zola reçoit des messages de soutien venus de l'étranger, sur le territoire national il est conspué, hué, haï -et cette haine sera persistance chez certains Français. Ainsi Le Figaro relate dans son édition du 8 février, que l'arrivée de l'écrivain au Palais de justice, au premier jour d'audience, se fait sous les cris. Mais celui de «à bas Zola!» couvre largement les autres -«à bas la crapule!» et «vive Zola!». Et le journaliste, Albert Bataille, qui couvre les audiences criminelles depuis vingt-deux ans, écrit ne pas se souvenir d'avoir vu «une salle aussi houleuse».
Dans l'édition du Figaro daté du 24 février le journaliste et écrivain Charles Chincholle raconte, glacé, la réaction du public après l'annonce du verdict: «Quand on annonce officiellement que Zola est condamné au maximum, c'est-à-dire à un an de prison et à trois mille francs d'amende, on mêle encore ces deux cris: «Vive l'armée! -Mort aux juifs!» Et si le cri de «Vive l'armée» est toujours joyeux, rien ne peut rendre la férocité grandissante de celui de: «Mort aux juifs!» On croirait vraiment avoir autour de soi des carnassiers auxquels vient d'être jetée de la viande. Et ce n'est pas seulement odieux. Cela fait peur.»
La haine et la tension sont telles que pour éviter tout accident après le verdict, le préfet de police fait placer sur divers points de Paris des détachements de troupes, capables de prêter main-forte aux agents en cas d'alerte. Mais comme le verdict correspond aux attentes du peuple la soirée et la nuit sont calmes.
Émile Zola fait appel du jugement mais la condamnation est confirmée par le tribunal de Versailles le 18 juillet 1898. Il part en exil en Angleterre avant l'application du jugement -son retour en France se fera en juin 1899. Le romancier, qui meurt en 1902, ne voit pas la réhabilitation du capitaine Dreyfus et sa réintégration dans l'armée.
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