La scabreuse accusation de « génocide » lancée par l’Afrique du Sud contre Israël
TRIBUNE. Que ce soit en matière de droit ou moralement, la saisine de Pretoria auprès de la Cour internationale de justice ne tient pas. Explications.

Par Noëlle Lenoir* et le Cercle Droit et débats

Publié dans Le Point le 22/01/2024

Dans sa saisine auprès de la CIJ, l'Afrique du Sud ne fait aucunement mention des massacres terroristes perpétrés le 7 octobre 2023, comme dans le kibboutz de Be’eri.
Voici un peuple qui a subi, au siècle dernier, le génocide le plus affreusement systématique de l'histoire contemporaine. Un peuple qui s'est constitué en nation pour se protéger contre la répétition de cette horreur. Un peuple qui a connu, il y a une centaine de jours, un pogrom d'une abomination sans nom, ressuscitant les pires cauchemars qui hantaient sa mémoire.

Un peuple qui vit désormais sous la menace confirmée d'une nouvelle extermination. Et c'est ce peuple qui est accusé de génocide par un gouvernement lointain, qui ignore tout de la situation locale mais qui s'empare de l'occasion pour camper le rôle de champion de la cause du Sud global contre l'impérialisme occidental…

Inversion des valeurs

En accusant Israël de génocide, le 28 décembre 2023, devant la Cour internationale de justice (CIJ) de l'ONU, le gouvernement d'Afrique du Sud opère une inversion des valeurs aussi moralement scabreuse que juridiquement atterrante.
Moralement scabreuse, car sa saisine tend à transformer en bourreau un État bel et bien victime, quant à lui, d'un commencement de génocide. L'agression subie par Israël le 7 octobre caractérise en effet une tentative de génocide tant par l'intention – compte tenu des objectifs affichés par le Hamas – que par les modalités – eu égard à la nature des actes commis par les terroristes.

Cette saisine est non moins juridiquement atterrante, car elle illustre jusqu'au paroxysme l'instrumentalisation idéologique dont la justice – particulièrement, comme ici, la justice internationale – peut aujourd'hui faire l'objet.

Comment ne pas voir qu'à l'arrière-plan du conflit israélo-arabe s'affiche une volonté d'annihilation d'Israël ? Il suffit de se reporter à la charte du Hamas de 1988, actualisée en 2017, pour constater qu'elle est un pur appel au djihad. Vider la Palestine de toute présence juive (et chrétienne), c'est, pour les intégristes du Hamas et des autres groupes radicaux, l'obligation sacrée de tout musulman et de toute musulmane (pour une fois, les femmes ne semblent pas avoir besoin de la permission de leur mari pour agir). Le Hamas se présente à cet égard moins comme le bras armé d'une résistance nationale palestinienne que comme l'avant-garde de l'oummah, la communauté mondiale des croyants.

Rayer Israël de la carte

La charte du Hamas définit la Palestine, « terre islamique arabe », comme une « unité territoriale indivisible » s'étendant de la Jordanie, à l'est, jusqu'à la Méditerranée, à l'ouest, et du Liban, au nord, jusqu'au sud, à Eilat. « From the river to the sea. » Le but est tout simplement de rayer Israël de la carte et de jeter aux orties la résolution 181 des Nations unies de 1947 qui avait mis fin au mandat britannique pour donner naissance à deux « États indépendants, arabe et juif ». Le refus de la grande majorité des nations arabes d'entériner un partage de la Palestine en deux États ne date d'ailleurs pas d'hier : en atteste le déclenchement d'une guerre contre Israël en 1948 dès la naissance de l'État juif.

Depuis lors, les attaques terroristes contre Israël n'ont jamais cessé. Le massacre et les prises d'otages d'octobre 2023 en sont le point d'orgue sanglant. D'autant plus abjectes que des civils palestiniens y ont participé, ces atrocités ont atteint un tel degré d'inhumanité que le récit qu'en a fait le New York Times, pourtant habitué à présenter les Palestiniens comme des victimes, est d'une lecture insoutenable.

C'est dans ce contexte que l'Afrique du Sud demande à la CIJ de déclarer Israël coupable de génocide. Le gouvernement sud-africain témoigne ainsi d'un zèle antisioniste singulier puisque les États arabes, eux, n'ont pas jugé utile de saisir la Cour. Il est vrai que l'Afrique du Sud entretient des liens avec le Hamas. Il est vrai aussi qu'y prospèrent des organisations affichant un racisme anti-blanc décomplexé qui excite l'opinion publique du pays et incite ses dirigeants à une surenchère démagogique dans la mise en cause de l'Occident. D'où l'indignation sélective de Pretoria, qui poursuit Israël du chef de génocide mais demeure indifférente aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité que leurs agresseurs ont infligés à l'Ukraine et à l'Arménie…

En principe, la CIJ se prononce en cas de conflit entre deux États, par exemple à propos de la délimitation d'une frontière. En se prévalant devant la Cour de La Haye de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 septembre 1948, l'Afrique du Sud cherche à s'affranchir de la charge de la preuve qui incombe normalement à tout accusateur (et qui serait, par exemple, exigée devant la Cour pénale internationale).

Des accusations qui ne tiennent pas

La saisine de Pretoria – qui ne mentionne pas une seule fois le mot « Hamas » – conjugue en effet trois prétentions : premièrement, invoquer la convention devant la CIJ, alors qu'elle n'est pas affectée par le conflit ; deuxièmement, obtenir que soient ordonnées par la Cour des « mesures provisoires » (en réalité un cessez-le-feu inconditionnel) avantageant un camp contre l'autre sur le champ de bataille ; enfin, être dispensée d'apporter la preuve des actes de génocide qu'elle reproche à Israël, son argumentation se bornant, au nom de l'urgence, à soutenir que de tels actes sont « plausibles ».

Rien de cela n'est sérieux en droit.

D'abord, l'Afrique du Sud n'a pas ici intérêt à agir contre Israël. En matière de génocide, cet intérêt à agir devant la CIJ s'apprécie certes largement (article 9 de la convention sur le génocide). Encore faut-il qu'il existe un « différend » entre États parties, ce qui implique une controverse cristallisée, étayée par des débats préalables entre les deux parties. En l'espèce, ces échanges n'ont pas eu lieu : le gouvernement israélien avait proposé une réunion à son homologue sud-africain, mais ce dernier n'y a pas donné suite et s'est hâté de déposer son recours fin décembre 2023, coupant court à toute discussion. Y a-t-il un différend tel que celui acté dans l'affaire « Gambie contre Myanmar » qui a donné lieu à une ordonnance du 23 janvier 2020 par laquelle la CIJ a enjoint au Myanmar de mettre fin aux exactions contre les Rohingyas ? La réponse est négative.


Sur le fond, le gouvernement d'Afrique du Sud assimile à un crime de génocide la réponse militaire d'Israël à l'agression dont l'État hébreu a été victime en octobre dernier. Or, comme il est de règle en matière pénale, un acte ne peut être qualifié de crime qu'en présence non seulement d'un fait défini comme criminel (élément matériel) mais encore d'une intention de le commettre (élément moral).

Israël n'a pas l'intention d'exterminer les Palestiniens

Il n'y aurait génocide que si les représailles d'Israël contre le Hamas avaient pour but d'exterminer la population palestinienne. Or ce n'est pas le cas. Les autorités israéliennes ont répété depuis le début du conflit qu'elles visaient l'appareil terroriste du Hamas et non les Palestiniens.

Au demeurant, si volonté d'extermination il y avait, pourquoi les autorités israéliennes préviendraient-elles la population gazaouie du lieu et du moment des frappes ? Pourquoi les inviteraient-elles à se mettre à l'abri ?

Quant aux faits allégués, aucun ne correspond à la réalité. Tsahal empêcherait les camions transportant de l'aide humanitaire de franchir la frontière ?

Mais ce sont des militants du Hamas qui s'emparent des chargements des camions entrant dans Gaza.


Israël ne frapperait pas seulement des combattants ?

Mais le Hamas se sert des civils comme boucliers humains, multipliant ainsi, de son propre fait, le nombre de victimes collatérales.


Israël empêcherait les civils de se rendre dans des zones protégées ?
Mais aucune armée au monde n'a déployé autant de moyens que Tsahal pour sécuriser les déplacements de civils (des millions d'appels téléphoniques et de SMS, de tracts largués du ciel, etc.).
Israël ciblerait des infrastructures civiles ? Mais il se découvre, à longueur de tunnels, que les cibles en cause sont de véritables arsenaux.


Le système de santé à Gaza s'écroulerait ? Mais les hôpitaux servent de QG au Hamas, tandis que des soins sont dispensés aux Palestiniens depuis des décennies dans les hôpitaux israéliens.


Tsahal tuerait inutilement des civils par sa puissance de feu ? Mais comment faire taire les milliers de roquettes lancées jour après jour sur des civils israéliens par le Hamas et ses clones du Hezbollah ?

La crédibilité de la CIJ serait compromise si elle devait accueillir favorablement la saisine de l'Afrique du Sud et se transformer ainsi en un tribunal politico-médiatique anti-occidental. La Cour n'a pas été créée pour priver Israël du droit naturel de légitime défense que lui reconnaît l'article 51 de la charte des Nations unies, droit qu'elle exerce légitimement au même titre que l'Ukraine et l'Arménie. Espérons que la CIJ, malgré sa composition très politique, ne tombe pas dans le piège que lui tendent l'Afrique du Sud et les amis du Hamas !

*Le Cercle Droit et débats est présidé par Noëlle Lenoir (membre honoraire du Conseil constitutionnel) et comprend notamment comme membres Pierre-Henri Conac (professeur de droit), Jean-Claude Magendie (ancien premier président de la cour d'appel de Paris), Jean-Yves Naouri (chef d'entreprise), Emmanuel Piwnica (avocat aux conseils), Jean-Éric Schoettl (ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel), Frédéric Thiriez (avocat aux conseils) et Philippe Valletoux (consultant).
Noëlle Lenoir est avocate, ancienne ministre des Affaires européennes et ex-membre du Conseil constitutionnel.