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Histoire de la Galicie
La Galicie est une région historique de l'Union de Pologne-Lituanie, située au sud de la région aujourd'hui ukrainienne de Volhynie. Elle a longtemps été une région tampon, une zone de passages et un carrefour de cultures, entre l'empire des Habsbourg et l'empire russe. Elle est actuellement partagée entre la Pologne et l'Ukraine.
Avant la Première Guerre mondiale, cette province d'une superficie d'environ 78 000 km2, appartenait à l'empire austro-hongrois des Habsbourg. Sa capitale Lvov (en français : Léopol, en polonais : Lwów, en allemand : Lemberg, en russe : Lvov, en ukrainien : Lviv, appellation officielle régionale actuelle), a été créée au XIIIe siècle par le souverain de la principauté de Galicie-Volhynie. La ville se trouve désormais sur le territoire ukrainien.
Une histoire faite de traumatismes
De province reculée et sans histoire de la Couronne autrichienne, la Galicie fut le théâtre d’affrontements déchirants durant et après la Première Guerre mondiale, opposant les communautés polonaise, ukrainienne et juive.
À la chute de l’Empire austro-hongrois se forme, en octobre 1918, une brève République Nationale de l’Ukraine de l’Ouest. La toute nouvelle armée ukrainienne, issue de l'effondrement de l'empire russe suite à la Révolution de 1917, affronte les troupes polonaises qui s'emparent de la capitale, puis de l’ensemble de la région en juillet 1919. Durant la bataille de Lvov, les soldats polonais se livrent durant trois jours à un pogrom.
La Galicie fut ensuite intégrée dans les territoires orientaux de la Pologne fraîchement reconstituée à la faveur de la Révolution russe, formant l’une des contrées des kresy, zone frontière ou tampon de la Seconde République, peuplée de minorités bigarrées. La province perd son nom autrichien et disparaît, avec la Galicie occidentale, sous le nom de Małopolska ("Petite Pologne").
À partir du milieu des années trente, l’idéal d’une grande Pologne multiethnique de Piłsudski est dépassé par une politique de polonisation agressive, ouvertement antisémite, imposant par la violence la « pacification » des villages ukrainiens.
En 1939, en vertu de l’accord secret Molotov-Ribbentrop, tandis que l’Allemagne envahit la moitié occidentale de la Pologne, l’Union soviétique met la main sur sa partie orientale. Ce territoire est incorporé, à la suite d’un référendum truqué, à la République Soviétique d’Ukraine. L’Union soviétique y mène une politique d’ukraïnisation, mais aussi de collectivisation forcée et de mise au pas idéologique, assortie d’une violente répression (déportations, emprisonnements, exécutions) qui touche dans l’ordre chronologique les anciennes élites politiques, économiques et intellectuelles polonaises, puis les nationalistes ukrainiens.
Fin juin 1941, la région est conquise par la Wehrmacht.
Les nationalistes ukrainiens accueillent les troupes allemandes comme des libérateurs.
Pourtant, loin de conférer l’indépendance à l’Ukraine, les nazis y développent très rapidement une politique d’élimination radicale des communistes, mais aussi de nettoyage ethnique et racial, secondés par des volontaires de l’OUN (Organisation des nationalistes ukrainiens), transformant ce territoire en zone d’essai très spécifique de mise à mort sur le terrain et de radicalisation (« brutalisation ») de la violence de guerre, avec une participation importante et volontaire de la population locale.
Dès l’arrivée des Allemands, la population locale ukrainienne se « venge » des persécutions du NKVD par une série de pogroms sauvages, perpétrés contre la population civile juive (24 000 morts).
Les nazis intègrent la Galicie au « Gouvernement Général » de la Pologne et mettent progressivement en place la « solution finale » : les 500 000 Juifs galiciens (12 % de la population d’environ 4 millions), d’abord rassemblés dans des ghettos et camps de travail, sont pour la plupart fusillés au bord de fosses communes ou annihilés à Bełżec.
Par ailleurs, 350 000 Polonais et Ukrainiens sont déportés en Allemagne comme travailleurs forcés ou déplacés pour créer un espace vital et économique germanisable, dans le cadre d’une stratégie militaire et économique qui envisageait délibérément la mort par la faim de dizaines de millions d’êtres humains en Union soviétique.
L'OUN et l’UPA (l’Armée d’insurrection ukrainienne), qui passe entre-temps de la collaboration à la résistance contre les Allemands tout en poursuivant sa lutte contre les Soviétiques et les Russes, profitent du chaos dans lequel se trouve plongée la région pour se débarrasser de la population polonaise (50 000 morts d’abord en Volhynie, puis en Galicie orientale), où la terreur imposée par la guérilla des « bandéristes » ukrainiens (partisans de Stepan Bandera, chef de l’OUN) indépendantistes ne sera contrôlée par l'Union soviétique qu’au début des années 1950. De son côté, Staline met en place dès la fin de la guerre une politique de déportation des populations : entre 1945 et 1956, 800 000 Polonais sont « rapatriés », dont 560 000 de Galicie, tandis qu’environ 600 000 Ukrainiens de l’autre côté de la frontière (Lemkos) sont déportés vers l’Ukraine (la plupart vers la Galicie) ou dispersés au cours de l’ « Action Vistule » (Akcja Wisła) dans les territoires que la Pologne a récupérés sur l’Allemagne.
La Galicie, terre d’émigration et berceau de célébrités
La Galicie a été depuis le milieu du XIXe siècle une terre d’émigration. Une proportion considérable des « Galiciens » se trouvent aujourd’hui hors de Galicie. Près d’un million de Galiciens ukrainiens, dits « Ruthènes », ont émigré au début du siècle aux États-Unis, au Canada et en Europe occidentale, tout comme de nombreux galiciens polonais. Chicago, Milwaukee, Philadelphie, New York sont devenus de grands centres d’émigration galicienne. Des 800 000 Juifs galiciens d’avant la Première Guerre mondiale, 200 à 300 000 ont fui pogroms et guerres vers les capitales occidentales et les États-Unis entre 1880 et 1914.
En raison des possibilités d'éducation et de promotion sociale offertes par la monarchie autrichienne à l'ensemble de ses minorités, la renommée de la Galicie s’est aussi fondée sur le fait qu’elle fut le terreau fertile de la constitution d’une intelligentsia nationale (autrichienne, polonaise, russo-ukrainienne ou juive) de premier plan. La Galicie fut le laboratoire de mouvements nationaux modernes, polonais, ukrainiens et juifs. Au regard des persécutions ultérieures, la période de l'Empire austro-hongrois fait figure rétrospectivement d’ère de liberté.
La Galicie a également bénéficié de la notoriété de ses figures de proue, qui l'ont d'ailleurs souvent quittée dans leur ascension sociale et culturelle, ou sont devenus des symboles phares dans leurs cultures nationales respectives : les germanophones Joseph Roth, Martin Buber et Emil-Edwin Reinert, les polonophones Gerda Taro, Joseph Wittlin et Bruno Schulz, les ukrainophones Ivan Franko, Vasyl Stefanik et Martovitch, auxquels il faut ajouter les écrivains de langue hébraïque Shmuel Yosef Agnon ou Aharon Appelfeld, et les écrivains yiddish Moyshe Leyb Halpern, Melekh Ravitsh et Uri Tsi Grinberg, sans parler de la pléiade de l’école yiddish galicienne du début du siècle.
On dénombre également des figures plus exotiques comme des hommes politiques (Karl Radek, Isaac Deutscher, ou Maximilien Rubel), ou bien des auteurs qui ont fait l’objet d’une « re-découverte » plus récente, comme les chantres germanophones de la Galicie multiethnique (certes germanocentrée) Karl Emil Franzos et Leopold von Sacher-Masoch, et pour l’après-guerre, les mémorialistes Soma Morgenstern et Manès Sperber, tout comme les romanciers polonais Andrzej Kusniewicz et Julian Stryjkowski.
Ces Galiciens ont porté à travers le monde le nom de leur « petite patrie », tout en en chantant le multiculturalisme avant la lettre, le pluralisme religieux, culturel et ethnique, vus à travers le prisme de la communauté disparue. Ainsi, le shtetl juif, la grande propriété foncière aristocratique polonaise, la colonie ou bien l’îlot linguistique germanophone ou polonophone dans la « mer » ukrainienne, ou encore la splendeur passée des métropoles régionales qu’étaient Cracovie ou Lvov incarnent une Arcadie perdue de l’enfance ou une Atlantide submergée par le déferlement du mal (guerre, communisme, occupation hitlérienne).
Bien que n’ayant pas subi, comme les Juifs, une tentative d’annihilation totale, les organisations d’émigrants ukrainiens aux États-unis et au Canada perpétuent une mémoire centrée autour de la persécution des Ukrainiens par les Polonais, les Russes, puis les Soviétiques et glorifient l’UPA, voire la division SS-Galizien, comme pôle de résistance anti-soviétique.
En Union soviétique, la Galicie orientale, divisée en trois oblast (Lviv, Ternopil et Ivano-Frankivsk), formera avec la Transcarpathie l’« Ukraine occidentale ». Reléguée dans un coin excentré du territoire national qui s’étend, avec les capitales culturelles du monde soviétique, désormais vers l’Est, elle subit la soviétisation.
Chronologie de la Galicie
Région surtout peuplée de Slaves, elle est rattachée en 1340 à la Pologne par le roi Casimir III le Grand (Kazimierz Wielki), que le duc Georges II de Galicie-Volhynie, (Georg II Trojden), avait instauré comme son successeur en échange d'une aide contre ses ennemis.
1772, lors du premier partage de la Pologne, la Galicie devient autrichienne et le restera jusqu'en 1914.
1914, elle est conquise par l'armée impériale russe lors des premières opérations militaires de la Première Guerre mondiale, (bataille de Krasnik et de Lemberg).
1915, elle est reprise par l'armée austro-allemande.
1918, elle est conquise par les Polonais qui se heurtent à des formations nationalistes ukrainiennes.
1921, par le traité de Rīga, elle est déclarée terre polonaise et le restera jusqu'en 1939.
1939, après l'écrasement de la Pologne, elle est annexée par l'Union soviétique en vertu du pacte germano-soviétique.
1941, elle est envahie et occupée par les troupes allemandes. Avec l'aide de milices nationalistes ukrainiennes, des commandos nazis (les SS-Einsatzgruppen) procèdent à une liquidation systématique, sans précédent dans l'Histoire, de la nombreuse population juive en la déportant dans des camps de concentration et des camps d'extermination.
1943, le Reichsführer SS Heinrich Himmler ordonne de créer une Division de la Waffen SS constituée de volontaires Ukrainiens de Galicie (Division SS Galizien).
1944, la Galicie est conquise par l’Armée rouge, qui reprend Lwów le 28 juillet.
1945, elle est découpée par la ligne Curzon (proposée par Lord Curzon durant la conférence de paix de Paris le 8 décembre 1919) et adoptée lors des accords de Yalta, qui part de la Lituanie et passe à l'est de Przemysl en Pologne et à l'ouest de Lviv (Lwów) en Galicie. La partie à l'est de la ligne Curzon est rattachée à l'Ukraine, alors l'une des républiques composant l'Union soviétique.
Histoire des Juifs de Galicie
Les Juifs de Galicie (ou Juifs galitzianer) sont des Juifs ashkénazes originaires de Galicie, une région qui s'étend aujourd'hui de l'Ukraine occidental (provinces actuelles de Lviv, Ivano-Frankivsk et Ternopil) jusqu'au sud-est de la Pologne (voïvodies de Podkarpackie et Petite-Pologne). La Galicie proprement dite, qui était peuplée d'Ukrainiens, de Polonais, d'Allemands et de Juifs, était, depuis 1772, une province royale de l'Empire austro-hongrois, dont la capitale était Lemberg, nom allemand de l'actuelle Lviv. Auparavant, elle appartenait à la Pologne.
Les Juifs galiciens de la fin du XIXe siècle à la Shoah
Les Juifs galiciens parlaient surtout le yiddish. Toutefois, selon le recensement de 1900, qui ne permettait pas d'indiquer le yiddish comme langue, les Juifs galiciens disaient parler le polonais (76%), l'allemand (17%) et l'ukrainien (5%).
Toutes les estimations conduisent à la conclusion que les Juifs constituaient le troisième groupe ethnique derrière les Polonais et les Ukrainiens, représentant au moins 10 pour cent de la population de Galicie. L'académicien ukrainien Serhiy Yefremov (1876-1939 ?) a pu écrire : « les Juifs comme nous le savons, entretiennent des liens des plus étroits avec les Ukrainiens, ce ne sont même pas des voisins comme la plupart des autres peuples, mais des membres du même peuple sur la même terre d'Ukraine ».
La plupart des Juifs vivaient pauvrement en Galicie, en travaillant principalement dans de petits ateliers et petites entreprises comme artisans - notamment tailleurs, menuisiers, chapeliers, bijoutiers ou opticiens. Près de 80 pour cent des tailleurs de Galicie étaient juifs. La principale occupation des Juifs dans les villes et villages était le commerce: commerce de gros ou de détail, papeterie. Toutefois, l'importance accordée par les Juifs aux études leur permettait de renverser les barrières sociales : les Juifs occupant des professions intellectuelles étaient proportionnellement beaucoup plus nombreux que les Polonais ou les Ukrainiens de Galicie. Parmi les 1 700 médecins de Galicie, 1 150 étaient juifs ; 41 pour cent des travailleurs de la culture, du théâtre et du cinéma, 43 pour cent des dentistes, 45 pour cent des infirmières étaient juifs et il y avait 2 200 avocats juifs contre 450 avocats ukrainiens. Quatre lauréats du prix Nobel sont des Juifs de Galicie : Isidor Isaac Rabi (physique), Roald Hoffmann (chimie), Georges Charpak (physique) and Samuel Agnon (littérature).
Après la Première Guerre mondiale, la Galice sert de champ de bataille aux forces ukrainiennes et polonaises. Au cours de ce conflit, les Juifs galiciens sont généralement neutres même si un bataillon juif de 1 200 hommes sert dans l'armée ukrainienne de Galice et si les Juifs se voient allouer 10 pour cent des sièges du parlement de la République populaire d'Ukraine occidentale, proportionnellement à leur nombre[1].
En 1920, la Galicie devient polonaise.
Ni les Juifs galiciens, ni les Ukrainiens n'ont été autorisés par le gouvernement polonais à travailler dans des entreprises d'État, des institutions, des compagnies de chemins de fer, aux PTT etc. Ces mesures ont été appliquées strictement. Les Juifs galiciens et les Ukrainiens subirent une discrimination ethnique, sous la forme d'une polonisation forcée (par exemple, en 1912, il y avait 2420 écoles ukrainiennes en Galicie et en 1938 il n'en restait plus que 352).
En septembre 1939, après le pacte germano-soviétique et l'invasion de la Pologne par les Nazis, la plus grande partie de la Galicie est annexée par la république socialiste soviétique d'Ukraine. La plupart des juifs galiciens périssent dans la Shoah. Les quelques survivants émigrent en Israël, aux États-Unis ou en Australie. Ceux, très peu nombreux, qui sont restés en Ukraine ou en Pologne ont été assimilés.
Chronologie de l'occupation de Lvow
1939
17 septembre : LES SOVIÉTIQUES OCCUPENT LVOV
1941
30 juin 194 L'ARMÉE ALLEMANDE ENTRE DANS LVOV
8 juillet 1941 : ORDRE EST DONNÉ DU PORT DE L'ÉTOILE DE DAVID
22 juillet 1941 : NOMINATION DU CONSEIL JUIF
25 juillet 1941 : POGROMS QUOTIDIENS À PETILURA
2 octobre 1941 : EXIGENCES EN MATIÈRE DE TRAVAIL FORCÉ
8 novembre 1941: LES ALLEMANDS ORDONNENT LA CRÉATION DU GHETTO
1942
14 mars : DÉPORTATIONS VERS BELZEC
10 août: JUIFS ENVOYÉS DANS LE CAMP DE TRAVAIL DE JANO
1er septembre: BOUCLAGE DU GHETTO
18 novembre : JUIFS ARRÊTÉS DANS LE GHETTO
1943
5 janvier : LVOV CLASSÉ EN CAMP DE TRAVAIL
17 mars : EXÉCUTIONS À PIASKI
1er juin : DESTRUCTION DU CAMP DE TRAVAIL DE LVOV
19 novembre: EVACUATION DE JANOWSKA
1944
26 juillet : L'ARMÉE SOVIÉTIQUE LIBÈRE LVOV
Histoire de l'occupation de Lvov
Avant l’occupation
Lwow possède avant la guerre la troisième communauté juive de Pologne. Avant 1939 environ 110.000 juifs vivent dans la ville. L'Allemagne envahit la Pologne le 1er septembre 1939 et les Soviétiques le 17 septembre, suite au pacte Hitler - Staline.
Lwow capitule rapidement et reste sous contrôle soviétique jusqu'au 30 juin 1941.
Durant cette période, le nombre de résidents juifs à Lwow grimpe à 160.000 : en effet, environ 100.000 juifs habitant la Pologne occupée par les Allemande se réfugient à Lwow et dans ses environs. Sous contrôle soviétique, les Juifs ont officiellement le même statut que les autres nationalités. Certains collaborent avec les autorités soviétiques, mais d'autres sont poursuivis : En avril 1940 des centaines de Juifs de Lwow et de Juifs réfugiés sont déportés en Sibérie pour avoir refusé de prendre la citoyenneté soviétique.
Les débuts de l’occupation
Les forces allemandes occupent Lwow le 30 juin 1941. La population ukrainienne accueille les Allemands avec joie en installant des bannières et des arcs de triomphe...
Immédiatement après, les antisémites polonais et ukrainiens (Avec une majorité d’Ukrainiens) organisent un pogrom à Lwow, avec l’appui des membres de l'Einsatzgruppe C. Les nationalistes ukrainiens informent la population de la ville que ces exécutions en masse sont un châtiment pour les exécutions en masse par le NKVD dans les prisons de Lwow durant les derniers jours de l’occupation soviétique.
Les Ukrainiens accusent les Juifs d'avoir aidé le NKVD lors des arrestations et des exécutions des « patriotes ukrainiens ». Dans les faits, la majorité des victimes de la police secrète soviétique étaient des nationalistes et des intellectuels polonais, bien qu'il y ait eu également des Ukrainiens et des Juifs parmi les victimes. Durant ce pogrom qui se poursuit sur environ 4 semaines, environ 4.000 juifs sont tués à Lwow. Certaines de ces exécutions sont le fait des Einsatzgruppen. Parmi les victimes figurent aussi de nombreux enseignants polonais de l’université de Lwow.
En juillet 1941 les juifs de Lwow sont obligés de porter l’étoile bleue de David et un Judenrat est constitué. Son premier président est l'avocat Josef Parnes. Il sera exécuté par la Gestapo en novembre 1941 pour son refus de sélectionner des juifs pour le travail obligatoire. Son successeur est Henryk Landsberg.
Le 25 juillet 1941 les nationalistes ukrainiens organisent un nouveau à pogrom à Lwow - les « journées de Petlioura » ainsi baptisées du nom de l’hetman (chef) de l'Ukraine qui avait organisé* en 1919 un pogrom en Ukraine qui fit 50.000 victimes juives (Petlioura sera assassiné en 1929 à Paris par l’anarchiste juif Samuel Schwartzbard). Durant trois jours, des militants ukrainiens battent la campagne dans les divers districts de Lwow, rassemblent les juifs dans les cimetières ou dans la prison Lunecki de Lwow et les fusillent. 2.000 juifs sont tués durant ces journées.
* Son rôle est très controversé
Travail obligatoire et premières déportations
Le 2 octobre 1941 les 500 premiers juifs sont recrutés pour le travail obligatoire dans les usines d’armement de la DAW (Deutsche Ausrüstungswerke - DAW Lemberg) de Lwow.
Ils sont d’abord employés à construire un camp de travail dans la rue de Janowska.
Le 8 novembre 1941, l'administration civile allemande ordonne l’établissement d’un ghetto à Lwow.
Tous les juifs de la ville sont forcés à entrer dans ce ghetto avant le 15 décembre 1941. Durant cette période, la police allemande organise des « sélections » dans la rue Peltewna : environ 5.000 juifs âgés et malades sont pris et exécutés d’une balle dans la nuque. Cette « Aktion » est appelée l'« Action sous le pont » (de la rue Peltewna).
Au 15 décembre, entre 110.000 et 120.000 juifs ont intégré le ghetto.
Premières déportations : la première grande action de déportation des juifs du ghetto de Lwow vers le camp de la mort de Belzec est organisée entre le 16 mars et le 1 avril 1942, après que les Allemands aient sélectionné des « Juifs du travail » : 15.000 juifs sont ainsi transférés. Les victimes sont principalement des personnes âgées, des « religieux », des femmes avec des enfants. Elles sont rassemblées dans la cour de l'école de Sobieski et après sélection sont emmenées à la gare de Kleparow, près du camp de Janowska, d'où les convois partent pour Belzec. Officiellement cette action est appelée « action contre les éléments antisociaux ».
Ces premiers convois du ghetto de Lwow sont, avec ceux du ghetto de Lublin, les premiers de l'« Aktion Reinhard ».
Après cette déportation, il reste environ 86.000 juifs dans le ghetto. C’est le chiffre officiel, car en fait il y a un grand nombre de Juifs « illégaux » dans le ghetto.
Les 24 et 25 juin 1942 a lieu le « grand rassemblement » (« Großrazzia ») dans le ghetto : les Allemands arrêtent 2.000 Juifs et les emmènent dans le camp de Janowska. Ils sélectionnent dans ce groupe 120 « Juifs du travail » et exécutent les autres à Piaski près du camp.
La grande déportation du mois d’août 1942 et la réduction du ghetto
Entre le 10 et 31 août 1942 à lieu la « Großaktion », préparée par le transfert de centaines de « Juifs du travail » dans le camp de. Janowska et dans le petit camp de travail de la rue de Czwartakow.
Durant cette « grande action », entre 40.000 et 50.000 Juifs sont envoyés à Belzec.
Les points de rassemblement des déportations sont la place Teodor, l'école de Sobieski et la place située devant le camp de Janowska et les convois partent de la gare de Kleparow.
Les rassemblements à l’intérieur du ghetto sont faits par les SS, la police ukrainienne et la police juive. Durant ces rassemblements, environ 1.000 personnes sont tuées d’une balle dans la tête ; parmi elles les enfants de l'orphelinat et les patients des hôpitaux juifs.
Le 1 septembre 1942, après les dernières déportations, la Gestapo pend publiquement Henryk Landsberg, président de Judenrat de Lwow et les policiers juifs : ils n'étaient plus nécessaires après la « Großaktion »…
Début septembre 1942 il reste environ 65.000 juifs dans le ghetto, dont 15.000 « clandestins » Quelques juifs se cachent dans les égouts et avec l'aide de Polonais locaux vont survivre jusqu'à la libération. Le ghetto est réduit de moitié, entouré de barbelés et étroitement gardé. Les conditions de vie deviennent extrêmes : manque d’eau, de nourriture, surpeuplement, absence de soins et de médicaments…
En automne 1942 une épidémie de typhus se répand dans tout le ghetto.
Début novembre tous les Juifs sont répartis dans les immeubles selon leur profession. Seuls pourront rester officiellement ceux qui sont munis de cartes de travail…
Le 18 novembre 1942 les SS opèrent une sélection : près de 5.000 les juifs « inaptes au travail » sont envoyés à Belzec. L'hôpital juif est liquidé et son patron, le Dr Kurzrock est envoyé au camp de Janowska.
Entre le 5 et le 7 janvier 1943 l’« Aktion » suivante sélectionne 15 à 20.000 juifs, dont les derniers membres du Judenrat ; emmenés à Piaski, ils y sont exécutés. Les SS mettent le feu à de nombreuses maisons où des Juifs se cachent : des centaines meurent dans les brasiers. Les Allemands ne maintiennent dans le ghetto que les Juifs possédant un permis de travail. Le ghetto est reclassé comme camp de travail obligatoire et sa surface fortement réduite.
La liquidation
Le camp de travail de l'ancien ghetto ne va exister que jusqu’au 1 juin 1943. Il y reste pour les Allemands beaucoup trop de « Juifs clandestins »… La liquidation finale du camp de travail a donc lieu début juin.
En plus des SS, des unités allemandes et ukrainiennes de police et de la Hitlerjugend participent à la liquidation. Des Juifs résistent, tuent et blessent plusieurs policiers. Les SS font alors sauter ou incendier les bâtiments du ghetto. Ils dynamitent de même les égouts où de nombreux Juifs se sont cachés. 3.000 juifs sont tués dans le ghetto. Environ 7.000 autres sont emmenés au camp de Janowska où une partie d’entre eux est sélectionnée pour le travail et l’autre exterminée à Piaski.
Les Juifs restant sont expédiés probablement à Sobibor. Les derniers Juifs de Lwow, ceux du camp de Janowska, seront exécutés le 18 novembre 1943, durant l' « Aktion Erntefest ».
Lorsque le 26 juillet 1944 l'armée soviétique entre dans Lwow, il reste dans la ville 200 à 300 juifs qui avaient survécu en se cachant dans la ville et ses environs.
Un des « résidents » les plus célèbres de Lwow est Simon Wiesenthal (Buczacz, 1908 – Vienne, 2005) qui, avec son épouse Cyla, a été déporté du ghetto au camp de Janowska. Mi 1942 il est affecté avec son épouse aux ateliers de réparations ferroviaires de l’est. La mère de Simon Wiesenthal, âgée de 63 ans est envoyée en août 1942 à Belzec et la mère de son épouse sera abattue par la police ukrainienne sur le pas de sa maison dans le ghetto. Simon Wiesenthal a survécu à l'horreur de Janowska puis à son internement à Groß -Rosen, Buchenwald et Mauthausen. Après la libération il consacre sa vie à traquer les nazis coupables de crimes de guerre. Il a joué un rôle essentiel dans l'arrestation et le jugement de Franz Paul Stangl, commandant de Treblinka, Hermann Höfle et Ernst Lerch, responsables du massacre de 1,8 millions de juifs dans les camps de la mort en Pologne, Odilo Globocnik, responsable de toute les camps d’extermination en Pologne… Wiesenthal a également contribué à l'arrestation d'Adolf Eichmann.
Le Camp de Janowska
Origine du camp
En septembre 1941, les Allemands installent une usine au 134 de la rue de Janowska dans la banlieue de Lwow pour les besoins de l'armée allemande. Peu après, ils l'intègrent dans le réseau des usines d’armements SS de la Deutsche Ausrüstungwerke (DAW). Dès le début, les juifs de Lwow sont forcés de travailler dans ces usines ; vers la fin d'octobre, ils sont 600. À cette date, le fonctionnement de l’usine change : Un camp de travail obligatoire (« Juden-Zwangsarbeitslager ») est établi. Le terrain de l’usine devient un camp cerné de barbelés, et les juifs ne sont pas autorisés de la quitter.
Le premier commandant du camp est Fritz Gebauer. Ses adjoints sont Gustav Wilhaus et Wilhelm Rokita. En mai 1942, Gebauer devient le patron du camp de la DAW et Wilhaus est nommé commandant de Janowska. Il est secondé par un personnel de 12 à 15 officiers SS, qui sont remplacés de temps en temps. Les gardes au camp sont des prisonniers de guerre russe qui proposent leurs services aus SS : les « Hiwis », ou « Hilfswillige ».
A l'origine le camp est prévu exclusivement pour des juifs, mais après quelques mois les SS ouvrent une section spéciale pour les Polonais non juifs. Ils sont séparés des Juifs, sont mieux traités et sont généralement libérés du camp après leur période de détention. Dans les premiers mois, ce sont uniquement des juifs de Lwow qui sont enfermés dans le camp, mais plus tard arrivent des juifs d'autres zones, notamment de Cracovie, de la Galicie Orientale (la majorité), des régions de Rawa-Ruska, Kamionka Strumilowa, Sambor, Brzezany et Kaluz. De temps en temps d’ailleurs, les SS du camp se rendent dans ces zones pour des actions d'extermination. Des petits camps de travail dépendant du camp de Janowska sont installés à Laski Kurowice, Jaktarowe et d'autres lieux dans lesquels les travailleurs juifs du camp de Janowska sont transférés.
Le camp de Janowska comprend trois sections :
* La premiers comporte les garages, les ateliers et les bureaux, ainsi qu’une villa à part pour le personnel de camp, les SS, le personnel du SD et les gardes ukrainiens. Au centre de cette section, la villa du commandant de camp.
* La deuxième section est le camp proprement dit. La sont construites des baraques pour les détenus juifs, chacune logeant 2.000 personnes. Les conditions de vie dans ces baraques sont épouvantables. Les prisonniers dorment à même le sol ou sur des planches. L'hygiène est quasi inexistante et il en résulte des états permanents de maladies et des manifestations sporadiques d'épidémies. Beaucoup de prisonniers meurent de famine : les rations sont composées d'Ersatzkaffee noir (succédamé de café) le matin, un brouet aqueus contenant des pommes de terre non épluchées à midi, et 200 grammes de pain le soir.
* La troisième section est celle des ateliers de la DAW.
Une clôture de barbelé sépare les trois sections de camp l'une de l'autre, et le camp entier est lui même cerné d’une double barrière de barbelés éclairés la nuit avec des projecteurs. A intervalles de 50 mètres, des miradors dans lesquels veillent les Ukrainiens et des patrouilles régulières de SS.
Les juifs qui entrent dans le camp remettent tous les objets de valeur à leur arrivée. Ils sont répartis en brigades de travail (Sonderkommandos) de 20 à 30 personnes. Ils travaillent 12 heures par jour, aussi bien dans le camp que dans la ville de Lwow, où ils sont notamment obligés de casser les pierres tombales dans les cimetières juifs sous la surveillance étroite de SS et de la milice ukrainienne, et d’en paver l’allée du camp…. Ils travaillent aussi sur divers chantiers SS : il y a particulièrement un Kommando juif spécial chargé d’enterrer les Juifs morts dans le camp ou les Juifs exécutés dans les collines de sable derrière le camp. Ce Kommando est également employé au tri des habits et des biens des morts.
Conditions de vie dans le camp
Les conditions de vie dans le camp sont exceptionnellement difficiles et barbares. Beaucoup de prisonniers se suicident en se pendant dans les baraques, plutôt que d’affronter une autre journée de terreur. Quand ils rentrent du travail, les prisonniers sont obligés de courir dans le camp. Wilhaus et son adjoint « sélectionnent » les Juifs montrant des signes d’épuisement et les placent entre les barbelés où ils sont mis à mort.
Chaque matin à lieu un appel au cours duquel les SS « inspectent » chaque prisonnier : celui qui est « inapte » est immédiatement abattu. Rokita a une technique spéciale en passant dans les rangs des prisonniers : une balle dans le bas du cou pour le détenu qui ne lui convient pas… Les juifs dans le camp sont exécutés pour le plus petit méfait : lenteur au travail, manque d’attention, oubli desalutation… ou sans aucun motif… Chaque SS a sa technique propre de tuerie : fusil ou pistolet, fouet, étranglement, pendaison, crucifixion tête en bas, massacre au couteau ou à la hache…
Quant aux femmes, elles sont la plupart du temps fouettées à mort ou tuées au poignard.
Les nazis mènent leurs tortures ou leurs massacres au son de la musique. À cette fin ils constituent un orchestre de prisonniers, dirigé le professeur Stricts et le chef d'orchestre réputé Mund. Des musiciens sont tenus de composer un air spécial, le « tango de la mort ». Tous les membres de cet orchestre sont liquidés par les SS avant la fermeture du camp.
Le 2 mars 1942, le premier jour de Pourim, six juifs sont forcés de passer la nuit dehors, parce qu'ils « ont l’air malade » et ne doivent pas infecter les autres. La température est en-dessous de zéro. Le lendemain, ils sont étendus sur le sol, morts de froid.
Le 4 mars 1942, Gebauer sélectionne huit travailleurs de Janowska, les force à se déshabiller et les fait se mettre dans un tonneau d’eau. Ils y restent toute la nuit. Le lendemain, ils sont morts gelés et il faut casser la glace pour dégager les corps.
Une semaine plus tard, Gebauer et Wilhaus passent leur journées au « tir à la cible » sur les détenus qui passent dans les allées du camp… en soirée, ils sélectionnent les juifs malades et les massacrent au fusil. Gebauer se fait une réputation d’étrangleur à mains nues.
La baraque.5, occupée par la brigade « Ostbahn » employée à l’entretien des locomotives et du matériel de la gare, est particulièrement soumise aux chicaneries et brutalités des SS. Cette brigade fournit également la plus grande partie des victimes des massacres. Le 16 mars 1943, suite à l’assassinat d’un SS par un juif nommé Kotnowski, 30 membres de la brigade « Ostbahn » sont sommairement exécutés en représailles, 11 policiers juifs sont pendus aux balcons de la rue principale du ghetto de Lwow, près de 1.000 juifs sont sélectionnés dans d’autres camps de travail et exécutés, et dans le camp de Janowska lui-même, 200 Juifs sont exécutés.
Le camp de transit et d’extermination mars 1942- juin 1943
Lorsque débute la déportation de masse des juifs de Galicie Orientale vers Belzec en mars 1942, le statut du camp change une nouvelle fois : Janowska devient un camp de transit pour les Juifs des villes et des villages environnant. À l'intérieur du camp, les sélections envoient régulièrement les « inaptes au travail » directement à Belzec.
Vers la fin du printemps, Janowska est agrandi et prend le caractère d'un camp de concentration. Suivent des « actions » à Lwow qui envoient en été 1942 des milliers de Juifs à Janowska.
Mi 1943, Janowska fonctionne toujours comme un camp de travail, mais prend de plus en plus l’allure d’un camp d'extermination : de moins en moins de Juifs sont employés dans les usines à l'intérieur du camp et à Lwow et la durée du « séjour » des nouveaux venus se fait beaucoup plus courte.
De multiples liquidations ont lieu dans les collines de sable de Piaski derrière le camp. Uniquement en mai 1943, plus de 6.000 juifs y sont assassinés et enterrés dans des fosses communes.
Après la mutation de Gebauer, le système est « perfectionné » par Wilhaus et son adjoint Franz Warzok. Gustav Wilhaus, en partie pour le sport, en partie pour amuser son épouse et sa fille, s’amuse régulièrement à tirer au pistolet mitrailleur de son balcon sur les Juifs occupés dans les ateliers. Il passe même son arme à son épouse, qui fait également feu… En une autre occasion, pour faire plaisir à sa fille de 9 ans, Wilhaus lance en l’air deux enfants âgés de 4 ans et tire sur eux… Sa fille applaudit et demande, « Papa, papa, encore une fois, encore une fois ! » Il le refait…
Warzok aime pendre des prisonniers à des poteaux par les pieds et les laisser dans cette position jusqu'à ce qu'ils soient morts. Rokita tue des prisonniers et leur ouvre l’estomac… Le chef du département de recherche du camp de Janowska, Heine, transperce les corps des prisonniers avec une tige de fer ; il arrache les ongles des prisonnières avec des pinces ; il déshabille ses victimes, les attache par les cheveux, les fait se balancer pour s’en servir de cible mobile…
A Janowska, des prisonniers sont assassinés sur n'importe quel prétexte, souvent par pari, et les victimes ne sont pas toujours juives. La témoin Kirschner a raconté à la Commission soviétique que Wepke, un commissaire de la Gestapo, se ventait devant d’autres assassins de camp qu'il pourrait couper un garçon en deux avec d’un seul coup de hache… Ses collègues ne le croyant pas, il a attrapé un garçon de dix ans qui passait dans la rue, l’a obligé à se mettre à genoux, puis à se cacher le visage de ses mains. Wepke a alors ajustée la tête du garçon, et d’un simple coup de hache l'a littéralement coupé en deux... Les nazis ont félicité chaudement Wepke.
Le 20 avril 1943, le cinquante-quatrième anniversaire de Hitler, Wilhaus sélectionne 54 prisonniers et les exécute personnellement. Dans le camp il y a un prétendu hôpital pour les prisonniers. Les SS Brambauer et Birmann de Nazi sélectionnent les patients tous les 1ers et 15 de chaque mois. S'ils trouvent des patients étant dans l'hôpital depuis plus d'une quinzaine, ils les exécutent sur place. Six ou sept personnes sont ainsi assassinées au cours de chaque sélection.
Le « Sonderkommando 1005 » à Janowska, juin – octobre 1943
En juin 1943, la brigade juive des 126 hommes du « Sonderkommando 1005 » commence l'exhumation et l'incinération du tous ceux qui avaient été assassinés et enterrés dans la zone de Lwow. Les officiers allemands responsables de la surveillance de ce Kommando sont le Scharführer Rauch et l’Oberwachtmeister Kepick, du SD (service de sécurité). Les corps déterrés des fosses sont empilés sur des plateformes spéciales, chacune comptant 1 200 à 1 600 cadavres. Du goudron et de l'essence sont versés sur les corps qui sont alors brûlés. Les cendres et les os sont ensuite tamisés afin de récupérer les objets de valeur : plombages en or, dents en or, anneaux, bijoux...
Durant les cinq mois d’activité de ce kommando, sur témoignages de bonne foi, environ 110 kilos d'or sont récupérés et expédiés en Allemagne. Les cendres sont dispersées dans les champs ou enterrées ; les os mal brûlés sont rassemblés séparément et écrasés dans un broyeur, particulièrement conçu pour accélérer le « travail », sous la surveillance du Scharführer Elitko. Ce broyeur sera récupéré par les Soviétiques et servira de preuve matérielle dans des procès de crimes de guerre en Union soviétique.
Le 20 novembre 1943, les 30 derniers membres du Sonderkommando, comprenant qu’ils vont être liquidés, tentent de s’enfuir. Seuls quelques uns y parviennent, les autres sont exécutés immédiatement. Les Allemands forment une autre équipe de prisonniers, qui continuent le travail de crémation, mais dans la forêt de Lisincki jusqu'à janvier 1944.
Fin du camp
L'armée rouge libère Lwow 26 juillet 1944. Gebauer sera condamné par une cour ouest-allemande à l'emprisonnement à perpétuité. Après la guerre, Janowska est transfomée en une prison, le « camp N°30 ». Il remplit toujours la même fonction en Ukraine aujourd'hui.
Les victimes
Il est impossible à arriver à un total précis des victimes de Janowska.
La Commission soviétique qui a étudié l’emplacement à la fin de la guerre a eu tendance à surestimer le nombre de victimes. Wieliczker, un témoin capital, relate devant la commission : « J'étais un ancien détenu du camp de Janowska affecté au « Kommando 1005 Blobel », obligé d’exhumer et de brûler les corps. J'ai travaillé du 6 juin 1943 au 20 novembre 1943. Pendant ce laps de temps le kommando a brûlé plus de 310.000 corps, soit environ 170.000 dans le camp même de Janowska et plus de 140.000 dans la forêt de Lisincki. Ce nombre inclut aussi bien les corps exhumés par le Kommando que les victimes exécutées et immédiatement brûlées… »
La commission soviétique a relevé dans le camp plus de 59 emplacements de crémation. Considérant que la surface totale des emplacements de crémation est d’environ deux kilomètres carrés, la commission d’experts chiffre à 200.000 le nombre de victimes exterminées à Janowska.
Les témoignages
Leon Wells
Miraculeusement, le détenus témoin Léon Wells (Wieliczker) survit « deux fois » à Janowska : une fois en tant que prisonnier condamné à mort et une seconde fois en tant que membre du fameux « Sonderkommando 1005 », chargé d’exhumer et d’incinérer les cadavres des Juifs assassinés et enterrés dans des fosses communes… Dans son témoignage au procès d'Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961, Wieliczker a décrit comment, après avoir d'abord creusé sa propre tombe dans les collines de sable de Piaski, il a du chercher le corps d'un prisonnier exécuté dans le camp. En dépit d'une épouvantable fièvre, il traîne le corps de l'homme mort vers l'emplacement d'exécution. A un moment, le garde détourne son attention. Wieliczker saisit l'occasion pour laisser tomber le corps et disparaître dans le camp. Le garde se rend compte de la disparition, et par peur des réactions de ses supérieurs (personne en effet ne sort vivant de Piaski) fait enterrer le corps du détenu comme si c’était Wieliczker, déclaré officiellement mort. A partir du moment où Wieliczker sait qu'il est « officiellement » mort, s'échapper du camp devient chose facile. En effet, pour un prisonnier échappé, les SS exécutent dix personnes de sa brigade de travail et pendent les membres de sa famille. Maintenant qu'il a compris qu'il pourrait s'échapper sans mettre en danger aucune de ses prisonniers de camarade ou de sa famille, il s’évade donc. Il sera repris plus tard et retournera à Janowska.
Sur le commando 1005 :
Wieliczker témoigne lors du procès d'Eichmann :
« Nous avions la tâche de réouvrir toutes les tombes où il y avait les cadavres des gens qui avaient été tués lors des trois dernières années, d’exhumer les corps, de les empiler sur plusieurs rangées et de les brûler, de réduire les os, de récupérer les objets de valeur dans les cendres comme les dents d'or, les anneaux etc… Après le concassage des os nous avions l'habitude de jeter les cendres de sorte qu'elles disparaissent, de refermer les tombes avec de la terre et de semer des graines, afin que personne ne puisse identifier l’emplacement des tombes… »
En plus de cela arrivaient de nouvelles personnes, de nouvelles victimes : déshabillées à l'avance, elles étaient exécutées là, et nous dûmes aussi brûler ces corps. Le mardi 29 juin 1943, 275 personnes sont arrivées et ont été exécutées à la mitrailleuse par groupes de 25.Après que les 25 premières victimes soient descendues dans la fosse et aient été fusillées, les 25 suivantes ont été obligées de faire de même…
Cette exécution ce jour là de 275 personnes a permis de nous expliquer un fait que nous avions découvert auparavant : dans quelques tombes, il semblait que les victimes n’avaient pas été tuées par balles : leurs bouches étaient ouvertes et leurs langues en sortaient... comme si elles avaient suffoqué. Ces personnes avaient été enterrées vivantes, car lorsque nous sommes venus brûler les corps, nous avons constaté que certains d'entre eux étaient seulement légèrement blessées à la mitrailleuse : ils ont été légèrement blessés, sont tombés et ont été enterrés sous les corps des suivants… De même, cette nuit-là, nous avons pris un corps pour le jeter dans le feu : au dernier moment la personne à hurlé, parce qu'elle était encore vivante... »
« Différentes responsabilités étaient attribuées à la brigade : il y avait un, puis plus tard deux « Brandmeister » (« maîtres du feu »), deux « Zähler » (compteurs), un « commandant des cendre », des porteurs, des « extracteurs » et également des « nettoyeurs ». Le Brandmeister était responsable du feu et surveillait la consumation de la « pyramide » comprenant parfois jusqu'à 2 000 corps, veillant à ce que le feu ne s’éteigne pas ; le Zähler tenait le compte du nombre de corps brûlés pour vérifier avec la liste originale du nombre de tués, car lorsque nous découvrions une tombe, il nous arrivait de rechercher parfois des heures durant un seul corps enterré un peu plus loin… il y avait en effet une liste exacte du nombre de personnes tuées. Ainsi le « Zähler » comptabilisait le nombre de corps exhumés et brûlés de chaque tombe. Le rapport était rédigé au crayon et l’on interdisait à quiconque de mentionner le nombre, et le « Zähler » lui-même devait oublier… De sorte que si le Hauptscharführer ou l'Untersturmführer demandait le lendemain : « combien ont été brûlés hier ? », « le Zähler » ne devait pas indiquer le nombre. Il devait répondre : « j'ai oublié. »
Nous devions composer des chansons et chanter tandis que nous allions travailler ; le Brandmeister marchait devant et était vêtu comme un diable ; il a avait un uniforme spécial et un crochet à la main et nous marchions derrière lui et chantions. Plus tard nous avons été accompagnés par un orchestre qui jouait pendant que nous chantions et nous accompagnait dans notre marche pour le travail… »
Un autre témoin, Manussevich:
« Après l’incinération des corps dans des fosses, près du camp de Janowska, nous avons été amenés la nuit dans des camions dans la forêt de Lisincki, où nous avons ouvert 45 fosses contenant des corps de personnes qui avaient été exécutées par balles. Nous avon identifié grâce aux restes d’uniformes, boutons, médailles, décorations… des prisonniers de guerre Français, Belges et Italiens… Il y avait également des corps des civils parmi eux. »
Manussevich, témoignage devant la commission soviétique, 1946.
Le Camp de Belzec
Une situation stratégique
Le 13 octobre 1941, Heinrich Himmler a donné au chef de la police de Lublin, le chef de brigade SS Odilo Globocnik, deux ordres qui étaient étroitement liés l'un à l'autre : tout d'abord germaniser le secteur autour de Zamość et commencer de faire fonctionner le tout premier camp d'extermination du gouvernement général près de Belzec.
L'emplacement a été choisi pour trois raisons :
1. Il est situé à la frontière entre la zone de Lublin et la Galicie du fait de son objectif à servir de lieu d'extermination pour les juifs de ces deux zones.
2. Pour des raisons de transport: il s'étend à côté du chemin de fer et de la route principale entre Lublin et Lviv.
3. La frontière nord du camp de la mort était délimitée par le fossé antichar creusé une année auparavant par les ouvriers juifs des pays slaves de l'ancien camp de travail obligatoire. À l'origine, ce fossé a été creusé pour des raisons militaires, mais il fut utilisé comme première énorme fosse commune.
Des responsables actifs
L'expert de Globocnik en matière de construction, l'Obersturmführer SS Richard Thomalla, se mit au travail dans les premiers jours de novembre 1941, avec l'aide des villageois et des hommes polonais de Trawniki, puis par la suite avec des ouvriers juifs des pays slaves. La construction s'acheva au début de mars 1942.
Les deux commandants du camp, Christian Wirth et Gottlieb Hering, des officiers de police criminelle avaient - comme presque tout leur personnel - été impliqués depuis 1940 dans le programme Nazi d'euthanasie, Wirth en particulier comme surveillant de chacun des six établissements d'euthanasie du Reich, Hering en tant que chef non-médical de Sonnenstein (Pirna, Saxe) et de Hadamar. En tant que participant au premier gazage de l'essai T-4 sur des personnes handicapées à Brandenburg, Wirth était, avant même son arrivée à Belzec, un expert du massacre.
Il a évidemment été choisi pour cette raison pour devenir le premier chef du premier camp d'extermination dans le gouvernement général. Il pourrait avoir proposé de transférer la technologie T-4 pour tuer par le gaz d'oxyde de carbone dans les chambres à gaz fixes de Belzec, alors que la technologie similaire utilisée dans les fourgons mobiles de gaz utilisés depuis décembre 1941 dans le camp d'extermination de Chelmno (Kulmhof) avait montré ses limites quant au nombre de victimes par rapport aux prévisions nazies.
Gestion du camp
Pour des raisons économiques et de transport, Wirth n'a pas utilisé ici de l'oxyde de carbone industriel en bouteille comme pour le T-4, mais a utilisé ce même gaz fourni par un grand moteur (bien que les témoins diffèrent quant à son type, c'était le plus probablement un moteur à essence), dont l'échappement émet de la fumée, toxique dans un espace clos, qui était amené par un système de tuyaux dans les chambres à gaz.
Pour des transports de juifs et de bohémiens en petit nombre et sur une courte distance, une version réduite au minimum de la technologie du camion à gaz a été employée à Belzec : Lorenz Hackenholt présent lors de T-4 et premier opérateur des chambres de gaz, a reconstruit un véhicule Opel-Blitz avec l'aide d'un artisan local dans un petit fourgon à gaz. Un membre du personnel a témoigné que les préposées de bureau juives ont été assassinées dans cette voiture pendant les tout derniers jours de Belzec.
Les chambres à gaz en bois étaient camouflées en baraquements et douches d'un camp de travail, de sorte que les victimes ne réalisaient pas le véritable but du lieu, et le processus était conduit aussi rapidement que possible : les gens étaient forcés de courir des trains aux chambres de gaz, ne leur laissant aucun temps pour réaliser où ils étaient ou pour projeter une révolte. Une poignée de juifs ont été choisis pour effectuer l'ensemble des travaux manuels impliqués par l'extermination (enlever les corps des chambres de gaz, les enterrer, trier et réparer l'habillement des victimes, etc.). Le processus d'extermination lui-même a été conduit par Hackenholt, les gardes ( principalement des prisonniers de guerres soviétiques ainsi que des recrues parmi les civils polonais ou ukrainiens [1]) et des auxiliaires juifs (les Sonderkommandos). Ces derniers étaient tués périodiquement et remplacés par des nouveaux arrivants de sorte qu'ils n'organisent pas non plus de révolte.
Par la suite, le camp d'extermination s'est composé de deux sous-camps : le Camp I, qui a inclus les baraquements des trawnikis, les ateliers et les baraquements des juifs, le secteur de réception comprenant deux baraquements de déshabillage, et le camp II, qui a contenu les chambres à gaz et les fosses communes. Les deux camps étaient reliés par un couloir étroit appelé le Schlauch, ou le "tube." les gardes allemands et l'administration étaient logés dans deux petits immeubles en dehors du camp de l'autre coté de la route.
Les trois chambres à gaz de Belzec ont commencé à fonctionner officiellement le 17 mars 1942, la date donnée pour le début de l'opération Reinhard. Ses premières victimes étaient des juifs expulsés de Lublin et de Lviv.
Il y avait beaucoup de difficultés techniques pour cette première tentative d'extermination de masse. Les mécanismes de chambre de gaz tombaient en panne et habituellement seulement une ou deux fonctionnaient en même temps. En outre, les cadavres ont été enterrés dans des puits couverts seulement d'une étroite couche de terre. Les corps ont souvent gonflé à cause de la chaleur due à la putréfaction, à l'évasion des gaz, et au recouvrement par la terre. Ce dernier problème a été corrigé dans d'autres camps de la mort avec l'introduction des fours crématoires.
On a bientôt réalisé que les trois chambres originales de gaz étaient insuffisantes pour accomplir les objectifs assignés, particulièrement avec le nombre de plus en plus important des arrivées en provenance de Cracovie et de Lvov. Un nouveau complexe avec six chambres à gaz de 4x4 ou 4x5 mètres, faites de béton, a été érigé. Les chambres en à gaz en bois ont été alors démantelées. La nouvelle installation, qui pouvait opérer sur plus de 1.000 victimes à la fois, a été imitée par deux des autres camps d'extermination de l'opération Reinhard : Sobibor et Treblinka.
En décembre 1942, le dernier convoi de juifs est arrivée à Belzec. À ce moment-là, les juifs dans le secteur où Belzec se situait avaient été presque entièrement exterminés, et les autorités nazies ont estimé que les nouveaux équipements en construction à Auschwitz-Birkenau pourraient prendre le relais.
Bilan
Selon le télégramme de Hoefle, 434 508 juifs ont été tués à Belzec.
Cependant, il est possible que les Roms et les Polonais n'aient pas été comptés selon la même règle, selon certaines estimations entre mars et décembre 1942, au moins 600 000 personnes furent déportées et assassinées (selon Chaim Herszman dans le témoignage de sa veuve). Il y a aussi des preuves qu'un certain nombre de bohémiens y ont aussi été exterminés.
Seulement deux juifs sont connus pour avoir survécu à Belzec : Rudolf Reder (auteur d'un livre sur Belzec) et Chaim Herszman (assassiné en 1946 le soir de son premier jour de témoignage).
Le manque de survivants constitue peut être la raison pour laquelle ce camp est tellement peu connu en dépit de son nombre énorme de victimes.
Que sont devenus les cadres du camp ?
Le premier commandant du camp, Christian Wirth, a été tué en Italie par des partisans près de Trieste à la fin mai 1944.
Son successeur Gottlieb Hering a servi après la guerre pendant une courte période en tant que chef de police criminelle de Heilbronn et est mort en automne 1945 dans un hôpital.
Lorenz Hackenholt a survécu à la guerre, mais n'a jamais été retrouvé.
Sept anciens membres des Einsatzgruppen de Belzec ont été accusés à Munich (Allemagne), mais seulement un, Josef Oberhauser, a été déféré aux autorités judiciaires en 1965 et condamné à quatre ans et demi de prison.
Przemysl, Jaroslaw – Stalag 327
Lors de l'occupation de la Pologne orientale par les Allemands, certains juifs polonais, dont une part déjà réfugiée de la zone occidentale envahie en 1939, se sont engagés dans l'armée soviétique.
L’armée allemande avance cependant très vite et toute la zone est sous leur contrôle. Lvow (Lviv) tombe le 30 juin 1941.
Tandis que les SS-Einsatzgruppen et leurs supplétifs ukrainiens tout aussi cruels tuent en masse les Juifs, les prisonniers de guerre soviétiques sont parqués près de Przemysl au stalag 327 de Neribka (Nehrybka ). Le stalag est actif de décembre 1942 à juillet 1944. Des soldats italiens y sont aussi internés à partir de septembre 1943. Le camp a été évacué vers janvier 1944 à l'approche des troupes soviétiques.
Le commandement du camp de Neribka (Nehrybka ) et de Pikulice était confié à un capitaine de la SS, le Lagerführer Reyner. Certains prisonniers, dont des Juifs1 y ont été tués, à Jaroslaw près de Przemysl.
Przemysl était le stalage principal et comportait des sous-camps à Jaroslaw, Sanok, Wolka Radunska. 2 Jaroslaw est aussi mentionné comme sous-camp de celui de Rawa-Ruska.
Les restes de plus de 2500 prisonniers soviétiques et italiens de la Seconde Guerre mondiale morts dans le camp allemand nazi près de Przemysl, en Pologne, ont été exhumés en 2014. En 1963, la croix-rouge polonaise avait déjà exhumé 1500 victimes.
"Nous avons jusqu'à présent exhumés 2500 dépouilles. Il y a encore deux fosses communes avec les restes de quelque 500 soldats" de la Seconde Guerre mondiale, a indiqué samedi Przemyslaw Kolosowski, archéologue chargé des travaux près du camp nazi de la ville polonaise de Przemysl.
"Il s'agit de soldats emprisonnés par l'Allemagne nazie, morts le plus souvent de faim et de maladies dues à des conditions inhumaines qui régnaient dans ce stalag", a-t-il précisé.
Des soldats soviétiques de diverses nationalités étaient emprisonnés dans ce stalag dès 1941, après qu'Hitler a attaqué l'URSS. Des soldats italiens y sont arrivés dès 1943, après que l'Italie est sortie de l'alliance avec Hitler.
Seulement quelques plaques d'identité militaire ont été retrouvées, rendant l'identification impossible pour la plupart des dépouilles.
Les restes seront transférés à Nehrybka, à quelque kilomètres, sur le site du futur cimetière militaire qui sera inauguré l'année prochaine. »3
Wilhelm Cornides
« Observations sur le transfert des Juifs à l'intérieur du Gouvernement Général »
Traduction des « Observations » de Wilhelm Cornides et de l’introduction de Hans Rothfels (« Zur "Umsiedlung" der Juden im Generalgouvernement », Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte, vol. 7 no. 3, juillet 1959, p. 333-336) qui les publia pour la première fois en 1959.
Traduction : Carole Daffini, 2009
Il s’agit, des observations consignées les 31 août et 1er septembre 1942 par le sous-officier Wilhelm Cornides lors d’un voyage en Galicie, alors qu’il circulait entre Rawa-Ruska et Cholm. Rawa-Ruska est situé très près du centre de mise à mort de Belzec.
Avertissement de l’éditeur : Les documents reproduits ci-dessous ont été fournis par Wilhelm Cornides, éditeur de la revue Europa-Archiv. Il est l’auteur de ces observations d’« un sous-officier allemand » ainsi que des trois autres témoignages. L’occasion lui en a été donnée fin août-début septembre 1942 au cours d’une mission qui lui a permis de circuler « de son propre chef » à l’intérieur du Gouvernement Général et d’en savoir plus à propos des rumeurs qui circulaient en Allemagne sur le « transfert » des Juifs.
… les observations sur Belzec datent du même mois que le témoignage de Kurt Gerstein sur les gazages de masse qui y avaient lieu (VfZ 1 1953, p. 177 et suiv.). On peut également établir des rapprochements quant au fond. Mais tandis que chez Gerstein (op. cit., p. 181), il s’agirait d’« une des affaires les plus secrètes » (« Qui en parle est fusillé sur le champ »), il est expressément démontré ici que les faits étaient connus dans le Gouvernement Général — comme on pouvait s’en douter — et qu’on pouvait en tout cas en avoir connaissance sans trop de peine. Cependant, il va de soi, que peu de gens ont voulu ou même souhaité rendre compte par écrit de ce qu’ils avaient vu ou entendu. Par ce qu’elles révèlent, et du fait qu’elles ont été écrites à chaud, ces notes possèdent donc une certaine valeur documentaire.
Notes d’un sous-officier allemand du 31.8.1942
Rawa-Ruska (Galicie), Deutsches Haus, 31.8.1942, 14 h 30
A 12 h 19 je vis entrer en gare un train de marchandises. Sur les toits et les marche-pieds se tenaient assis des gardes armés. On pouvait voir de loin que les wagons étaient pleins à craquer d’êtres humains. Je fis demi-tour et marchai tout le long du train : il comportait 35 wagons à bétail et une voiture de voyageurs. Dans chacun des wagons se trouvaient au moins 60 Juifs (lors des transports de soldats ou de prisonniers, on y met 40 personnes, mais ici les bancs avaient été retirés et l’on pouvait voir que les détenus se tenaient debout, serrés les uns contre les autres). Les portières étaient entrouvertes, les fenêtres étaient grillagées de fil barbelé. Parmi les quelques hommes qui se trouvaient là, la plupart étaient agés; les autres personnes étaient des femmes, des jeunes filles et des enfants. Beaucoup d’enfants se pressaient aux fenêtres et dans l’entrebaillement de la porte. Les plus jeunes n’avaient sûrement pas plus de deux ans. Dès que le train s’immobilisa, les Juifs tentèrent de passer des bouteilles au dehors pour qu’on leur donne de l’eau. Mais des gardes SS se tenaient des deux côtés du train, de sorte que personne ne pouvait s’en approcher. A cet instant, un train en provenance de Jaroslau entra en gare, les passagers se hâtèrent vers la sortie sans prêter attention au convoi. Quelques Juifs qui étaient occupés à charger un camion de la Wehrmacht, agitèrent leurs bonnets en direction des détenus. J’eus une discussion avec un policier qui était en service dans la gare. Lorsque je lui demandai d’où venaient ces Juifs, il répondit :
« Ce sont vraisemblablement les derniers de Lemberg. Ça fait trois semaines que ça dure sans interruption. A Jaroslau, ils n’en ont laissé que huit, personne ne sait pourquoi. »
« Et où vont-ils ensuite ? », interrogeai-je.
« Belzec », dit-il.
« Et après ? ».
« Poison. »
« Au gaz ? », demandai-je. Il haussa les épaules. Puis il se contenta de dire :
« A ce que je crois, au début ils étaient toujours fusillés. »
Je viens d’avoir une discussion avec deux soldats du Front-Stalag 325, ici même au Deutsches Haus. Ils m’ont dit que dernièrement il passait chaque jour des convois, la plupart du temps de nuit. Hier, c’est un train de 70 wagons qui serait passé.
Dans le train en provenance de Rawa-Ruska et à destination de Cholm, 17 h 30.
Lorsque nous sommes montés dans le train à 16 heures 40, un train de marchandises vide est entré en gare. Je l’ai longé à deux reprises et j’ai compté; il y avait 56 wagons. Des chiffres étaient inscrits à la craie sur les portières, 60, 70, une seule fois 90, parfois 40, il s’agissait sans doute du nombre de Juifs par wagon. Dans le compartiment, je discutai avec la femme d’un agent de la police ferroviaire, qui est ici en ce moment car elle rend visite à son mari. Elle me dit qu’il passe tous les jours des convois, parfois ce sont même des Juifs allemands. Hier, on a retrouvé six cadavres d’enfants sur le parcours du train. Selon cette femme, ce sont les Juifs eux-mêmes qui auraient assassiné les enfants; en fait, ils sont sans doute morts pendant le voyage. L’agent de la police ferroviaire qui part avec nous en tant que contrôleur, est monté dans notre compartiment. Il a confirmé les déclarations de la femme à propos des cadavres d’enfants qui ont été retrouvés hier sur le parcours du train. « Est-ce que les Juifs savent ce qui les attend ? » ai-je demandé. Elle a répondu :
« Ceux qui viennent de loin ne savent sans doute rien, mais dans les environs, près d’ici, ils le savent déjà. Du coup, ils essaient de s’enfuir quand ils voient qu’on vient les chercher. Ainsi, par exemple, récemment à Cholm, on en a abattu trois dans la rue qui traverse la ville.»
« Pour l’administration ferroviaire, ces trains circulent sous le nom de convois de transfert », fit remarquer l’agent.
Et d’ajouter qu’après l’assassinat de Heydrich, sont passés plusieurs convois de Tchèques.Le camp de Belzec serait situé le long de la ligne de chemins de fer. La femme a promis de me le montrer, lorsque nous passerons.
17 heures 40 :
Court arrêt. En face, venant dans notre direction, un nouveau convoi s’immobilise. Je discute avec les policiers qui voyagent à l’avant, dans la voiture de voyageurs. Je leur demande : « Est-ce que ce train retourne dans le Reich ? ». L’un d’eux ricane : « Tu sais d’où on vient, hein ? Eh oui, on n’arrête pas de travailler. » Le train repartit, les wagons étaient vides et l’intérieur soigneusement balayé, il y en avait 35. Selon toute probabilité, il s’agissait du train que j’ai vu à 1 heure en gare de Rawa-Ruska.
18 heures 20 :
Nous sommes passés devant le camp de Belzec. D’abord, nous avons roulé un certain temps à travers de hautes forêts de pins. Puis la femme s’écria : « Voilà, c’est là », et on ne vit qu’une haute haie de sapins. On percevait distinctement une odeur douçâtre et pénétrante.
« Ils commencent déjà à puer », dit-elle.
« Mais non, c’est le gaz », répondit l’agent en riant.
Dans l’intervalle — nous avions parcouru environ 200 mètres — l’odeur douçâtre s’était transformée en une âcre odeur d’incendie.
« Ça vient du crématoire » dit l’agent.
Peu après, la clôture prit fin. On vit un poste de garde devant lequel se tenaient des sentinelles SS. Deux voies menaient à l’intérieur du camp. L’une des voies était un embranchement de la voie principale, l’autre passait sur une plaque tournante et menait hors du camp, vers une série de remises, à 250 mètres environ de ce dernier. Un wagon de marchandises se trouvait justement sur la plaque tournante. Plusieurs Juifs étaient occupés à faire tourner la plate-forme. Des sentinelles SS, l’arme sous le bras, se tenaient près d’eux. Une des remises était ouverte, on voyait distinctement qu’elle était remplie jusqu’au plafond de ballots de vêtements. Comme nous nous éloignions, j’ai jeté un dernier regard vers le camp. La clôture en était trop haute pour qu’on puisse y voir quoi que ce soit. La femme dit qu’on pouvait parfois, en passant, voir monter de la fumée du camp. Mais quant à moi je ne pus rien remarquer de tel. Selon mon estimation, le camp fait environ 800 mètres de long sur 400 mètres de large.
2 - Autres témoignages
a) Récit d’un agent de la police ferroviaire travaillant à la gare de triage de Reichshof, le 30.8.1942 :
« Le 1.9., à Reichshof, on va poser une plaque de marbre frappée de lettres d’or, parce que la ville est a présent judenfrei. Il passe presque chaque jour des convois de Juifs dans la gare de triage, ils repartent aussitôt, et reviennent, en général le soir même, avec l’intérieur soigneusement balayé. À Jaroslau, dernièrement, 6000 Juifs ont été tués en un seul jour. »
b) Récit d’un ingénieur, au Deutsches Haus de Rawa-Ruska, le 30.8.1942 au soir :
« Lors des travaux qui ont eu lieu ici pour construire le champ de manoeuvres, on a utilisé, en plus des Polonais et des prisonniers de guerre, des Juifs, qui ont été en majorité emmenés depuis. Le rendement de ces équipes (qui comptaient aussi des femmes) correspondait en moyenne à 30 % de ce qui aurait été réalisé par des ouvriers allemands. Il est vrai que ces personnes ne recevaient de nous que du pain; le reste, elles devaient se le trouver elles-mêmes. Récemment, à Lemberg, j’ai assisté par hasard au chargement d’un convoi de ce genre. Les wagons se trouvaient au pied d’un talus. Jamais de ma vie, je n’oublierai le spectacle de ces gens qui descendaient la pente sous les coups de bâtons et de cravaches des SS, qui les poussaient ensuite dans les wagons. »
A ce récit, les larmes sont montées aux yeux de mon interlocuteur. C’était un homme d’environ 26 ans, il portait l’insigne du parti. Un Allemand des Sudètes, maître d’oeuvre de profession, qui assis à la même table, ajouta :
« Récemment, on a eu un SS complètement ivre à notre cantine, il pleurait comme un gosse. Il disait qu’il était en service à Belzec et que si ça durait encore deux semaines comme ça, il se suiciderait parce qu’il n’en pouvait plus. »
c) Récit d’un policier, le 1.9.1942, dans le restaurant de l’hôtel de ville de Cholm :
« Les policiers qui accompagnent les convois de Juifs n’ont pas le droit d’entrer dans le camp. La SS et le service spécial ukrainiens (une formation policière constituée de volontaires ukrainiens) sont seuls à y pénétrer. Pour eux, c’est une bonne affaire. Récemment, nous avons eu un Ukrainien chez nous, il avait toute une liasse de billets de banque, des montres, de l’or et toutes sortes de choses. Ils trouvent tout ça lorsqu’ils rassemblent et chargent les vêtements. »
Je demandai au policier de quelle manière les Juifs étaient tués, il répondit :
« On leur dit qu’ils doivent aller à l’épouillage et qu’ils doivent retirer leurs vêtements, puis ils entrent dans une pièce, dans laquelle on introduit d’abord de l’air chaud dans lequel on a déjà mêlé une petite quantité de gaz. Ça suffit pour endormir. Le reste vient ensuite. Ils sont brûlés aussitôt après. »
Lorsque je lui demandais la raison d’une telle entreprise, le policier me dit :
« Jusqu’à maintenant, les Juifs ont été partout utilisés comme main d’oeuvre par la SS, la Wehrmacht, etc. C’est comme ça qu’ils ont forcément péché pas mal d’informations que maintenant ils transmettent aux Russes. Voilà pourquoi il faut qu’ils disparaissent. En plus, ils sont responsables de tout le marché noir et de la hausse illicite des prix qui ont lieu ici. Lorsqu’il n’y aura plus de Juifs, on pourra retrouver des prix raisonnables. »
Remarque : Rawa-Ruska est située à environ 80 km au Nord-Ouest de Lemberg. Belzec se trouve sur la ligne Lemberg-Cholm, à environ 40 km au Nord-Ouest de Rawa-Ruska.
1 Je ne sais pas s'ils avaient été identifiés comme Juifs.
2 https://prisonniers-de-guerre.fr/les-prisonniers-de-guerre-internes-dans-le-reich-les-camps-numerotes-a-trois-chiffres/